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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

qui seraient susceptibles de plus longs développements, je dirai que dans le terme de Trĭchṇâ, la soif ou le désir, il ne faut pas voir un être matériel qui désire, mais seulement un désir abstrait, un pur désir, qui termine l’évolution des formes immatérielles et primitives de l’individu, et qui produit la conception, laquelle commence la série de ses formes, matérielles et actuelles. Le désir, quoique cause de la conception, n’est donc pas, selon moi, l’attrait qu’éprouvent les deux sexes l’un pour l’autre ; car alors le sujet serait changé, puisque celui ou ceux qui désirent ne sont pas celui qui est conçu. Or dans toute cette série des douze causes et effets, le sujet reste toujours le même ; du moins rien ne m’autorise à supposer que les quatre dernières conditions appartiennent à un être, et que les huit autres (dont sept nous restent encore à étudier) désignent un autre être. Le désir[1], dont je crois avoir ainsi déterminé le véritable caractère, a pour cause la condition que je vais examiner, la sensation.

Cette cause, qui est la sixième, est la Vêdanâ ou la sensation, et d’une manière plus générale la sensibilité. Le doute n’est pas plus possible sur cet article que sur le précédent. Le texte cité par M. Hodgson l’explique ainsi : « La sensation « est la perception définie, » et le commentateur ajoute : « Perception ou connaissance définie, comme par exemple, cela est blanc et ceci est noir ; cela est bien et ceci est mal[2]. » Colebrooke définit de même ce mot : « la sensation de la peine et du plaisir[3]. » Nous voyons par la glose du commentateur précité qu’il ne s’agit pas seulement ici de la sensation intérieure, sensation qu’il faut considérer comme donnant une perception, c’est-à-dire comme une sensation accompagnée de connaissance, mais que la Vêdanâ contient encore la notion ou le jugement moral ; ce qui ne serait pas facile à comprendre, si l’on ne se rappelait que ces espèces de jugements sont l’œuvre du Manas ou du cœur, véritable sens interne dont les Buddhistes, ainsi que les Brâhmanes, font un organe à l’égal de l’œil, de la main et des autres instruments de la sensation. Ajoutons qu’ici encore il faut envisager la sensation en elle-même, indépendamment du sujet matériel, comme je l’ai dit tout à l’heure pour le désir, effet de la sensation. Car nous sommes encore dans les qualités abstraites de l’être idéal, qui est, suivant toute vraisemblance, le type primitif de l’être réel,

  1. Voici comment M. Goldstuecker comprend ce terme : « Je crois que Trĭchṇâ exprime l’appetitus, le désir d’être actif, ou la fermentation intérieure qu’éprouvent les éléments invisibles pour procéder à leur création de Bhava ou des éléments visibles. Alors on peut dire que l’impulsion, comme essence de ces éléments invisibles, est leur cause, est ce qui les précède virtuellement. Comme Bhava est la δύναμις (dunamis) de Djâti, de même on peut supposer que Trĭchṇâ est la δύναμις (dunamis) des Upâdânas skandhas. »
  2. Quotat., etc., dans Journ., etc., t. V, p. 79.
  3. Colebrooke, Miscell. Essays, t. I, p. 396.