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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

cognition[1]. Les interprètes tibétains, qui sont comme à leur ordinaire matériellement exacts, rendent très-bien le préfixe vi par rnam-par, « totalement, complètement, » et le substantif djñâna par ches-pa, « connaissance ; » mais cette version ne nous apprend rien de neuf sur le sens de Vidjñâna. Ici encore le lexique de Schröter vient à notre secours, en traduisant ce terme par « âme, vie, âme raisonnable[2]. » C’est peut-être un peu trop dire, car il s’agit plutôt ici d’une qualité abstraite que d’un être concret ; cependant il faut convenir que cette interprétation, qui manque aux dictionnaires de Csoma et de Schmidt, nous mène assez directement à l’idée de conscience qu’exprime aussi le terme de Vidjñâna[3]. J’ajoute que le Vidjñâna ou la connaissance est de deux sortes, l’une (et c’est celle dont il s’agit ici) qui est un attribut de l’être idéal, l’autre qui est le cinquième attribut de l’être matériel. Passons maintenant à la cause de la connaissance, qui se nomme Sam̃skâra.

Cette cause, qui est la onzième, n’est jamais indiquée dans les textes du Népâl que par un nom au pluriel, les Sam̃skâras. Je ne crois pas que cette circonstance soit tout à fait indifférente. Elle ne paraît cependant pas avoir frappé les auteurs qui ont parlé jusqu’ici de la doctrine de l’évolution des êtres. Le texte cité par M. Hodgson définit le terme Sam̃skâra par « l’impression illusoire ; » à quoi le commentateur ajoute : « La croyance du principe sensible non revêtu d’un corps, dans la réalité de ce qui n’est qu’un mirage, est accompagnée d’un désir pour ce mirage, et de la conviction de son mérite et de sa réalité : ce désir se nomme Sam̃skâra[4]. » Suivant les autorités brâhmaniques citées par Colebrooke, « le Sam̃skâra est la passion, qui comprend le désir, l’aversion,

  1. Analysis of the Sher-chin, dans Asiat. Res., t. XX, t. V 398 ; et Tib. Diction., p. 255, col. 1.
  2. Bhotanta Diction., t. V 342, col. 2.
  3. Voici les observations de M. Goldstuecker sur cet article : « Si je crois que jusqu’ici tout le développement de la théorie buddhique se déroule dans un ordre parfait et presque irréfutable, malgré ses lacunes énormes et les sauts intellectuels que l’esprit est obligé de faire pour le suivre, je suis également convaincu que c’est dans les trois dernières notions, à partir de la dixième, que commencent les abîmes qu’il n’est plus possible de combler. Le terme de Vidjñâna est, il me semble, exactement notre savoir, c’est-à-dire la quantité de connaissances qu’un homme a acquises. C’est ainsi que ce mot est constamment employé dans tout le cours du Vêdânta, où il est également opposé à Djñâna, le vrai savoir. Ainsi Vidjñâna est le savoir de ce qui est : vi, multiple, divers, sans unité, par conséquent, suivant le Vêdânta, faux. Djñâna, au contraire, est le savoir par excellence, le savoir de ce qui est, de Brahma, c’est le vrai savoir. Et j’irai même jusqu’à dire que comme Chadâyatana exprime les six organes de l’homme, et les organes de la nature inorganique, en un mot tout organe en général, Vidjñâna exprime savoir et tout ce qui est la base du savoir, tout ce monde non réel, rempli d’apparitions, de variétés. Vidjñâna a donc cette duplicité, intellectuelle toutefois, par laquelle il devient la cause de la substantialité, ou pour mieux dire, la notion à laquelle celle de la substantialité est subordonnée. Je traduirais conséquemment Vidjñâna par la variété, connue ou à connaître. »
  4. Quotations, etc., dans Journ., etc., t. V, p. 78.