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DU BUDDHISME INDIEN.

Je citerai encore d’autres autorités qui ne sont pas moins explicites. C’est un axiome admis par les Buddhistes, qu’aucune condition n’est l’âme ou le moi, ou que toutes les conditions sont des non-moi : Sarvadharmâ anâtmânaḥ, et les commentateurs de l’Abhidharma expliquent ainsi cet axiome : « Les conditions n’ont pas nature propre d’âme ou de moi, le moi n’est pas en elles[1] ; » puis il ajoute : « la personne n’est pas un Dharma, une condition, sa pudgalô na dharmaḥ. Or la personne, c’est celui qui dans la proposition : J’ai dans un « temps passé revêtu une forme, dit Je ou Moi. Ce je ou moi (aham), c’est la personne, le Pudgala. Le moi (Âtman), ce n’est ni les attributs (Skandha), ni les siéges des qualités sensibles (Âyatana), ni les éléments (Dhâtu)[2]. » C’est-à-dire, en d’autres termes, le moi n’est pas le corps de l’individu, qui est composé des attributs intellectuels, des sens et des éléments[3]. Or cette théorie repose sur des textes que je considère comme respectables, notamment sur un passage de l’Avadâna çataka, qu’il importe de citer ici : je l’emprunte à la légende d’un certain Guptika qui se fit Religieux du temps de Çâkya.

« Les jeunes gens de son âge qui l’accompagnaient furent entraînés par son exemple à entrer dans la vie religieuse. S’étant rendus à l’endroit où se trouvait le respectable Guptika, ils lui parlèrent ainsi : Respectable Guptika, qu’est-ce qui dans le monde a la condition de périssable, et qu’est-ce qui dans le monde n’a pas la condition de périssable ? Respectables personnages, reprit Guptika, la forme a la condition de périssable ; et le Nirvâṇa, qui consiste dans la cessation de la forme, n’a pas la condition de périssable. La sensation, l’idée, les concepts et la connaissance ont, ô respectables personnages, la condition de périssable, et le Nirvâṇa, qui consiste dans la cessation de ces divers accidents, n’a pas la condition de périssable. Qu’en pensez-vous, respectables personnages, la forme est-elle permanente ou passagère ? — Elle est passagère, ô respectable Guptika. — Et ce qui est passager, est-ce un mal, ou n’est-ce pas un mal ? — C’est un mal, respectable Guptika. — Mais, respectables personnages, ce qui est passager, ce qui est un mal, ce qui est sujet au changement, est-ce de nature à inspirer à un Auditeur respectable, qui est très-instruit, les sentiments suivants : Ceci est à moi ; ceci est moi ; ceci, c’est mon âme même ? — Nullement, respectable Guptika. — Qu’en pensez-vous, respectables Auditeurs, la sensation, l’idée, les concepts et la connaissance sont-ils permanents ou passagers ? — Ils sont passagers, respectable Guptika. — Et ce qui est passager, est-ce un mal, ou n’est-ce pas un mal ?

  1. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 474 a. C’est l’idée qu’exprime l’Anâtmaka, en tibétain Bdagmed-pa, du Vocabulaire pentaglotte. (Sect. xxiv, n° 4.)
  2. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 474 a de mon manuscrit.
  3. Voyez ci-dessus, sect. III, p. 242, fin du troisième alinéa, et p. 423, note.