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DU BUDDHISME INDIEN.

résister ; » et c’est sans contredit l’adjectif saha, souffrant, patient. » Cette explication nous mène directement à la traduction des Buddhistes chinois, chez lesquels Sahalôkadhâtu désigne « le séjour ou le monde de la patience, parce que, dit Des Hautesrayes, tous les êtres qui y vivent sont soumis aux épreuves de la transmigration et à toutes les vicissitudes qui en sont la conséquence[1]. » On voit que M. A. Rémusat connaissait la véritable signification de ce terme, quoiqu’il en eût adopté une orthographe fautive ; mais il faut en même temps abandonner les explications que cette mauvaise orthographe a suggérées à M. Schmidt[2].

Il importe de rapprocher de cette expression le titre que l’on donne à Brahmâ dans les livres buddhiques du Nord comme dans ceux du Sud. On l’y trouve nommé Sahâm̃pati, et en pâli Saham̃pati[3]. Ce titre est même composé avec celui de Brahmâ dans le passage suivant du Thûpavamsa, l’histoire des Stûpas : Saham̃pati Mahâbrahmuṇâ âyâtchita dhammadesano, « celui que le grand Brahmâ Saham̃pati a prié d’enseigner la Loi[4]. » Je vois ici la réunion des deux mots pati (maître, seigneur), et saham (pâli pour sahâm), génitif pluriel d’un nom dérivé directement du radical sah, et je le traduis par « le seigneur de ceux qui endurent, des êtres patients. » Brahmâ est en effet le souverain du Sahalôkadhâtu, c’est-à-dire du monde de la patience. C’est vraisemblablement là ce qu’entendent les Tibétains par l’expression mi-mdjed-kyi bdag-po, qui représente à leurs yeux Sahâm̃pati. La première partie, mi-mdjed, est traduite dans nos dictionnaires tibétains par « qui n’est pas sujet, qui n’est pas soumis » (Csoma), et par « non soumis, indépendant » (Schmidt). Cette expression vague manque de la précision nécessaire, et les mots « qui n’est pas soumis » doivent être entendus dans le sens de « qui souffre, qui endure sans céder. » Je dois en terminant citer ici, ne fût-ce que pour ne pas l’omettre, l’explication du terme de Saham̃pati qu’a donnée M. G. de Humboldt, sans la démontrer, et comme si elle était suffisamment prouvée par elle-même. Ce savant croit que Saham̃pati est identique avec Djagat pati, « le souverain de l’univers[5]. » Il est vrai qu’il avait emprunté le terme original aux mauvaises transcriptions d’Upham, qui l’écrit Sagampati, et dont le travail n’était pas aussi déconsidéré qu’il l’est devenu depuis la publication du Mahâvam̃sa.

  1. Des Hauterayes, Recherches sur la religion de Fo, dans Journ. Asiat., t. VIII, p. 43 ; et A. Rémusat, Essai sur la Cosmogon. buddh., dans Journ. des Savants, année 1831, p. 670. Foe koue ki, p. 116.
  2. Geschichte der Ost-Mongol, p. 301, note 8. Mém. de l’Acad. des sciences de S.-Pétersbourg, t. II, p. 23.
  3. Clough, Singhal. Diction., t. II, p. 722, col. 1.
  4. Thûpavam̃sa, f. 9 a de mon manuscrit.
  5. Ueber die Kawi-Sprache, t. I, p. 297.