Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/62

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
20
INTRODUCTION À L’HISTOIRE

et où il est le plus aisé de trouver l’original sanscrit. Il y avait au temps de Çâkyamuni, dans la ville de Çrâvastî[1], non loin de la moderne Fizabad, un marchand ou, comme l’appellent les livres sanscrits du Népâl, un chef de maison célèbre par ses richesses et sa liberté. Il se nommait Anâtha piṇḍada ou Anâtha piṇḍika, « celui qui distribue de la nourriture aux indigents, » et il possédait auprès de la ville un jardin qu’il avait donné à Çâkyamuni ; aussi ce dernier s’y retirait-il très-fréquemment avec ses disciples pour leur enseigner la loi. Voilà pourquoi, sur dix légendes, il y en a près de huit qui commencent par cette formule : « Un jour le bienheureux se trouvait à Çrâvastî, à Djêtavana[2], dans le jardin d’Anâtha piṇḍika. » Certainement ici ce dernier mot, quoique significatif dans chacun de ses éléments, quoique donné sans

  1. Nous avons ici le nom d’une des villes le plus fréquemment citées dans les prédications et dans les légendes sanscrites du Nord. Fa hian, au commencement du Ve siècle de notre ère, en parle comme d’une cité bien déchue de son ancienne splendeur (Foe koue ki, p. 171) ; aussi serait-il probablement très-difficile d’en retrouver aujourd’hui quelques restes. C’était la capitale du Kôçala et le séjour de Prasênadjit, roi de ce pays, ou, pour parler avec plus de précision, roi du Kôçala septentrional (Lassen, Indische Alterthumsk., t. I, p. 128 et 129), province qui est distinguée du Kâçîkôçala, ou du Kôçala renfermant Bénarès, tant dans les légendes buddhiques que dans les livres des Brâhmanes. (Vichṇu purâṇa, p. 186.) Wilson établit par de bonnes raisons qu’il faut chercher l’emplacement de Çrâvastî non loin de Fizabad. (Journ. of the Roy. Asiat. Soc.), t. V, p. 123.) Je ne dois pas oublier de dire que cette ville est citée dans le Vichṇu purâṇa (p. 361, note 16), et dans le Kathâ sarit sâgara (texte sanscrit, p. 200, st. 63, éd. Brockhaus). Il en est souvent question dans le Daçakumâra, histoire de Pramati. (Quart. Orient. Magazine, t. IX, juin 1827, p. 281.) Dans ce récit, où figure plusieurs fois le nom de cette ville célèbre, il est parlé d’un grand combat de coqs, plaisir tout brâhmanique, et que Çâkyamuni interdisait à ses disciples, comme nous l’apprennent les livres pâlis de Ceylan, notamment un traité intitulé Brahmadjâla sutta. Le nom de cette ville est écrit Sâvatthi dans les textes pâlis de Ceylan. (Clough, Pâli Gramm. and Vocab., p. 24, st. 2.)
  2. Ce nom désigne le monastère et le temple le plus célèbre de la province de Kôçala ; il était situé près de Çrâvasti. Il est cité à tout instant dans les légendes du Divya avadâna et de l’Avadâna cataka, et les voyageurs chinois Fa hian et Hiuan thsang en parlent avec admiration. (A. Rémusat, Foe koue ki, p. 179.) On trouve toujours ce nom écrit Djêtavana ; et les Chinois, au rapport de M. A. Rémusat, le traduisent par « le jardin (ou le temple) de la victoire, ou du victorieux. » Je ne puis m’empêcher de voir, dans l’orthographe de ce nom, une trace de l’influence des dialectes vulgaires. Si, en effet, Djêtavana signifie « le bois du vainqueur, » il faudrait l’écrire en sanscrit, Djêtrĭvana ; et c’est seulement dans un dialecte populaire, comme le pâli, que le son peut disparaître et faire place à un a bref. Le Mahâvam̃sa de Turnour le reproduit en effet toujours sous cette forme. Les rédacteurs des légendes écrites en sanscrit ont reçu le nom tel que le leur a donné le peuple, et ne l’ont pas rétabli sous la forme qu’il aurait dans la langue classique. J’en conclus que cette dénomination n’est pas antérieure à l’établissement du Buddhisme, conclusion qui, d’ailleurs, est d’accord avec la tradition. Ce n’est pas ainsi, en effet, que les Buddhistes écrivant en sanscrit ont traité les noms de lieux qui avaient cours dans l’Inde avant la venue de Çâkyamuni : ils en ont scrupuleusement respecté l’orthographe brâhmanique, quelque contraire qu’elle fût aux habitudes du dialecte populaire. Cela se reconnaît clairement dans des mots comme Çrâvastî, Srughnâ, Tâmralipti, Sûrpâraka, Kanyâkubdja et autres.