Page:Burnouf - Introduction à l’histoire du bouddhisme indien.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
37
DU BUDDHISME INDIEN.

plique le titre d’Abhidharma, parce qu’on y trouve la définition des lois, ou, d’une manière plus générale, la définition de tout ce que désigne le terme très-vaste de Dharma, savoir les conditions, les rapports, les lois ou les êtres qui se présentent sous telles et telles conditions, qui soutiennent entre eux tels et tels rapports, et qui sont régis par telles et telles lois[1]. Il faut bien, ajoute le commentateur, que l’Abhidharma ait fait partie de l’enseignement de Çâkya, puisqu’il est question dans un Sutra d’un Religieux auquel on attribue la connaissance des trois Piṭakas[2]. J’examinerai bientôt ce qu’il faut penser de la présence de ce titre « les trois Piṭakas » dans un traité qui passe pour émaner directement de la prédication de Çâkya ; ce qu’il importe actuellement de constater, c’est que, suivant notre auteur, les traités de métaphysique se composent d’axiomes qui se trouvent disperses dans l’enseignement de Çâkya, que l’on en a détachés, et dont on a fait un corps à part sous le nom d’Abhidharma.

  1. Il n’est pas inutile de rassembler ici les notions que M. Hodgson nous donne de ce mot important, dans plusieurs endroits de ses écrits sur le Buddhisme du Nord. Dharma, dérivé de dhrĭ (contenir), de cette manière, « Dhâraṇâtmika iti dharmaḥ, » signifie nature, constitution propre ; c’est dans ce sens qu’une des grandes écoles du Nord a pu regarder ce terme comme synonyme de Pradjña, la suprême Sagesse, c’est-à-dire la sagesse de la Nature prise pour le fonds et la cause de toutes les existences. Le terme de Dharma signifie encore : 1o la moralité, la vertu ; 2o la loi, ou le code moral ; 3o les effets matériels, ou le monde phénoménal. (Hodgson, Europ. Specul. on Buddh., dans Journ. Asiat. Soc. of Beng., t. III, p. 502.) D’après le même auteur, ce mot désigne d’une manière plus large encore les êtres sensibles, et les choses ou les phénomènes extérieurs. (Hodgson, Further note on the Inscript. from Sârnâth, dans Journ. Asiat. Soc. of Bengal, t. IV, p. 213 et 214.) Je traduis ordinairement ce terme par condition, d’autres fois par lois ; mais aucune de ces traductions n’est parfaitement complète ; il faut entendre par Dharma ce qui fait qu’une chose est ce qu’elle est, ce qui constitue sa nature propre, comme l’a bien montré Lassen, à l’occasion de la célèbre formule « Ye dharmâ hôtuprabhavâ. » (Lassen, Zeitschrift für die Kunde des Morgenland, t. I, p. 228 et 229.) Il y a même bien des cas où il ne faut pas beaucoup presser la signification de ce mot, parce qu’elle est très-vague et presque insensible, notamment à la fin d’un composé. Ainsi je trouve à tout instant, dans les légendes de l’Avadâna çataka, le terme de dêya dharma, qu’il faut traduire, non par « devoir ou mérite de ce qui doit être donné, » mais par « charité, offrande ; » c’est-à-dire qu’il y faut voir le fait de l’offrande et de l’aumône, et non le devoir de l’accomplir, ni le mérite qui y est attaché. Ce sens est mis hors de doute par l’expression Dêya dharma parityâga, qui n’a pas d’autre sens que abandon d’une offrande. (Mahâvastu, f. 193 b de mon man.) On comprend sans peine comment de l’idée de devoir ou mérite de la charité, on passe à l’idée générale de charité, et de là au fait particulier d’une charité spéciale ; notre mot français lui-même a toute cette étendue d’acception. Cette expression est, du reste, une des plus authentiques et des plus anciennes du Buddhisme, car elle appartient à toutes les écoles. Clough, dans son Dictionnaire singhalais (t. II, p. 283. col. 2), la donne positivement avec le sens de offerings, gifts, charity ; et je crois l’avoir découverte parmi les inscriptions des cavernes de Sâim̃hâdri, au nord de Djunîra, dans l’ouest de l’Inde. Prinsep (Note on Syke’s Inscript., dans Journ. Asiat. Soc. of Beng., t. VI, p. 1042 et pl. LIII), qui a si heureusement déchiffré ces courtes légendes, y lit Dayâdhama, qu’il traduit par « compassion et piété ; » en déplaçant les voyelles, j’y trouve dêya dhamma (don, offrande).
  2. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 8 b de mon manuscrit.