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NOTES.

Ils sont rares, ô Çâriputtra, les temps et les lieux.] C’est une idée qui se représente très-fréquemment dans les livres buddhiques de toutes les écoles, que celle de la difficulté qu’on a de rencontrer un Buddha, et d’entendre la loi de sa bouche. J’ai déjà cité, à l’occasion d’un des termes qui désigne cet enseignement même, un passage pâli où Buddha exhorte ses auditeurs à profiter de sa présence pour se convertir à la loi qu’il est venu apporter aux hommes. « C’est une chose difficile à rencontrer, leur dit-il, que la naissance d’un Buddha dans le monde[1]. » Les Buddhistes du Sud ont exprimé cette opinion en quatre vers populaires qui résument toutes les choses relatives à la loi que l’on ne rencontre que rarement.

Buddhôtcha dullabhô lôkê saddhammasavanampitcha,
sam̃ghôtcha dullabhô lôkê sappurisâ atidullahbhâ ;
dullabhañtcha manussattam Buddhuppâdôtcha dullabhô,
dullabhâ khaṇasampatti saddhammô paramadullâbhô.

« Un Buddha est difficile à rencontrer dans le monde, ainsi que l’audition de la bonne loi ; l’assemblée est difficile à rencontrer dans le monde ; les gens de bien sont très-difficiles à rencontrer. La condition humaine aussi est difficile à obtenir ; difficile à rencontrer aussi est là naissance d’un Buddha ; l’acquisition du moment propice est difficile à obtenir ; la bonne loi est extrêmement difficile à rencontrer[2]. » Ces maximes ont dû naturellement commencer à se répandre postérieurement à la mort de Çâkyamuni, quand son absence se faisait sentir. Elles témoignent en même temps de la sincérité des Buddhistes qui affirment qu’il est le dernier Buddha humain qui ait paru en ce monde. Plus tard encore, et quand le Buddhisme admet dans son sein des éléments mythologiques, on rencontre dans des ouvrages que je crois modernes, de semblables exhortations à profiter des occasions qui se présentent d’entendre exposer la loi. Mais il n’est plus question alors de Çâkyamuni ; on y parle seulement de simples prédicateurs, car les prédicateurs instruits sont déjà devenus rares. Ainsi dans le Sûtra tout mythologique, intitulé Kâraṇḍa vyûha, Sûtra consacré à l’apothéose du saint si célèbre dans le Nord sous le nom d’Avalôkitêçvara, vers la fin de ce traité où sont relevés les mérites de la fameuse formule de six lettres ôm̃ mani padmê hum̃, l’auteur va jusqu’à introduire le dialogue suivant entre Çâkyamuni et un Bôdhisattva fabuleux, au nom inprononçable Sarva nivaraṇa vichkambhin : « Alors ce Bôdhisattva parla ainsi à Bhagavat : Où faut-il que j’aille, ô Bhagavat, pour obtenir cette grande formule magique de six lettres ? Bhagavat répondit : Il y a, ô fils de famille, dans la grande ville de Bénârès un prédicateur de la loi, qui garde dans sa mémoire, qui récite et qui a profondément gravé dans son esprit cette grande formule magique de six lettres. Le Bôdhisattva répondit : J’irai, ô Bhagavat, dans la grande ville de Bénârès pour voir et pour servir ce prédicateur de la loi. Bhagavat reprit : Bien, bien, fils de famille, fais comme cela ; ils ne sont pas faciles à rencontrer, ô fils de famille, les prédicateurs de la loi ; on doit les regarder comme semblables au Tathâgata ; on doit voir en eux, comme un Stûpa mobile, comme un monceau de vertus, comme le Gange de tous les

  1. Ci-dessus, ch. i, f. 4 a, p. 305.
  2. Djina alam̃kâra, f. 10 b.