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APPENDICE. — No III.

Setzen[1], ce qui convient très-bien à un personnage religieux ; et en même temps Schmidt nous apprend qu’il reçoit chez les Buddhistes des honneurs divins, qu’il est honoré comme la source de l’inspiration céleste[2], qu’il est le symbole de la sagesse divine[3], ce qui nous transporte dans le monde des phénomènes surnaturels. Ce personnage est même si divin, qu’il passe pour s’être incarné dans la personne de plusieurs rois du Tibet[4] et dans celle de Thonmi Sambodha, l’inventeur de l’écriture tibétaine[5].

Le même mélange se remarque dans les détails que Csoma de Cörös a rassemblés sur Mañdjuçrî. Nous le voyons placé dans une liste chronologique comprenant les événements principaux du Buddhisme depuis Çâkya, à la date fabuleuse de 838 ans avant notre ère et avec cette légende : « Naissance du maître révéré Mañdjughôcha (autre nom de Mañdjuçrî) à la Chine, de l’arbre Triks’ha[6]. » On le dit antérieur de plus de quatre siècles au grand philosophe Nâgârdjuna, et en même temps, par une de ces confusions auxquelles donne trop aisément lieu l’absurde système des incarnations, on fait de Nâgârdjuna son fils spirituel[7]. Je reviendrai plus bas sur le nom de Triks’ha, cité à l’occasion de la patrie supposée de Mañdjuçrî ; quant à présent, ayant à cœur de montrer comment les Tibétains confondent ici l’humain avec le divin, je dois ajouter ce que nous apprend Csoma d’après ses propres lectures. « C’est, dit-il, un personnage métaphysique, patron et beau idéal de la sagesse ; de plus c’est un fils spirituel de Çâkya[8]. » Tout ce que nous disent les Mongols de son action comme source de l’inspiration divine, se retrouve naturellement au Tibet, puisque c’est de ce pays qu’ils en tiennent la connaissance. Ainsi c’est Mañdjuçrî qui inspirait Thonmi Sambodha, lorsque, vers le milieu du viie siècle de notre ère, il vint au Tibet apporter la fameuse formule, Ôm maṇi padmé hum̃[9].

Les auteurs chinois, si curieux de tout ce qui se rapporte au Buddhisme, nous montrent Mañdjuçrî sous les mêmes traits ; et leur Wen tchu che li, ainsi qu’on transcrit d’après eux le nom indien, paraît avec le caractère mixte qu’il a chez les peuples buddhistes dont je viens de parler[10]. Toutefois en en faisant une incarnation du Buddha Çâkyamuni[11], ils nous conduisent à chercher dans Mañdjuçrî un personnage réel ; car qui dit incarnation, entend parler d’un être humain en qui une divinité est descendue pour s’y rendre visible. Nous constaterons tout à l’heure que les Chinois ont gardé le souvenir d’une tradition analogue à celle des Tibétains, où l’existence réelle de Mañdjuçrî est affirmée plus positivement encore ; mais comme cette tradition offre quelque ressemblance avec celle des Népâlais, je me réserve de l’examiner à l’endroit où je résumerai l’opinion des Népâlais touchant le rôle mortel de Mañdjuçrî.

  1. Schmidt, Geschichte der Ost-Mongol. p. 3 et 300.
  2. Id. ibid. p. 300, 392, 398.
  3. Mém. de l’Acad. des sciences de St-Pétersb. t. I, p. 100.
  4. Geschichte der Ost-Mongol, p. 47 et 344.
  5. Ibid. p. 326 et 327.
  6. Csoma, Tibet. Gram. p. 182.
  7. Id. ibid. p. 182 et 194.
  8. Id. ibid. p. 193.
  9. Klaproth, Nouv. Journ. Asiat. t. VII, p. 189 : Cf. Hodgson, Journ. as. Soc. of Bengal, t. IV, p. 196. Cependant, d’après d’autres autorités, cette formule aurait été antérieurement portée au Tibet, sous Lha to tori, qui passe pour l’avoir reçue du ciel en 367 de notre ère. (Rémusat, Observ. sur l’hist. des Mongols, dans Nouv. Journ. asiat. t. IX, p. 34.)
  10. Foe koue ki, p. 101 et suiv.
  11. Schott, Ueber den Buddh. in China p. 18.