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Page:Burnouf - Lotus de la bonne loi.djvu/587

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APPENDICE. — No VII.

pâramitâ, ou « la perfection de l’aumône, » signifiera « l’action d’être parvenu à l’autre rive de l’aumône, » c’est-à-dire d’avoir franchi les obstacles qui empêchent l’homme de s’élever à la libéralité la plus haute, à une libéralité telle qu’un Buddha seul la conçoit et la pratique. Alors dâna pâramitâ n’aura pas trait directement au Nirvâṇa, mais seulement à l’aumône ; la rive à laquelle il s’agit d’atteindre sera celle de la libéralité, de l’aumône, et non celle de l’anéantissement. Il me semble que les Tibétains l’ont entendu ainsi lorsque, selon M. Foucaux, ils traduisent dâna pâramitâ par « l’abord à l’autre rive de l’aumône[1]. » On croirait même que les Chinois se sont fait de ce terme la même idée ; quand on voit un commentateur de cette nation, parlant de la dâna pâramitâ, s’exprimer ainsi : « Celui qui sait pratiquer la bienfaisance, franchit la mer de la pauvreté[2]. » Et le lecteur reconnaîtra plus bas, quand j’analyserai en détail chacune des pâramitâs, qu’on peut concilier avec cette interprétation celle d’épreuve (probationary course) qu’y voyait Turnour dans son Mahâwanso[3]. Je pense donc que pâramitâ est le titre collectif des vertus qui pratiquées de la manière la plus complète et dans une perfection à laquelle les hommes ordinaires ne peuvent atteindre, forment l’apanage le plus élevé d’un Bôdhisattva, c’est-à-dire de celui qui doit être un jour un Buddha.

Le texte qui donne lieu à cette note compte six pâramitâs, ou vertus transcendantes ; or ce nombre de six est également celui du Lalita vistara. C’est donc cet ouvrage qui doit nous servir de guide dans l’analyse que j’en vais donner ici : j’indiquerai d’ailleurs, à la fin de cette note, une autre énumération comprenant un plus grand nombre de termes. La liste du Lalita vistara a de plus l’avantage d’être accompagnée de quelques explications qui jettent du jour sur la valeur et la destination de plusieurs de ces vertus[4].

La première perfection ou vertu transcendante est la dâna pâramitâ, ou « la perfection de l’aumône ; » cette vertu ne serait pas parfaitement comprise dans le sens buddhique, si l’on n’y voyait qu’une libéralité humaine, si grande qu’on la suppose ; il faut se figurer quelque chose de plus encore, et se rappeler les légendes où l’être qui doit un jour devenir un Buddha, donne, tout ce qu’il possède, et distribue, sous forme d’aumône, les parties de son corps et jusqu’à son corps même. Nous n’avons, pour en donner un exemple, qu’à renvoyer le lecteur au passage du Lalita vistara où, voulant exciter Çâkyamunî à quitter le monde pour se faire Religieux, les Dieux lui rappellent les innombrables aumônes qu’il a répandues dans ses existences antérieures[5]. Cette observation seule rend intelligible le texte du Lalita vistara où est marquée la destination de la perfection de l’aumône ; voici ce passage : Lakchaṇânuvyañdjana Buddha kchêtra pariçuddhyâi matsari sattva paripâtchanatâyâi sam̃vartatê. « Elle conduit à la maturité parfaite d’un être égoïste, à perfectionner [pour lui] les signes de beauté, les caractères secondaires et la terre d’un Buddha. » Cela doit s’entendre au sens propre du Buddhisme, et il faut y voir le premier degré, pour ainsi dire, de la formation d’un Buddha. Selon les vues de toutes les écoles, un Buddha, quoique essentiellement

  1. Rgya tch’er rol pa, t.  II, p. 45, et la note 1.
  2. Foe koue ki, p. 6.
  3. Mahâwanso, t.  I, p. 2.
  4. Lalita vistara, f. 23 a de mon manuscrit A ; f. 20 a du manuscrit de la Soc. Asiat. et Rgya tch’er rol pa, t.  II, p. 45.
  5. Rgya tch’er rol pa, t.  II, p. 166 et suiv. et Lalita vistara, f. 91 de mon ms. A.