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Page:Burnouf - Lotus de la bonne loi.djvu/711

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APPENDICE. — N° X.

le verbe palibhasayisam̃ti au sanscrit bharts qui avec la préposition pari signifie « menacer, reprocher ; » cette explication nouvelle ne changerait d’ailleurs rien au sens.

C’est par conjecture que j’ai réuni la dernière proposition iyam̃ mê, etc. à ce qui précède ; aussi ai-je placé [et dire] entre crochets, parce que cette addition est nécessaire au sens. Cette version serait certaine si la phrase était terminée par iti. Il faut de plus supposer que manamê est pour namê ; le copiste qui avait déjà écrit iyam̃mê aura recommencé ainsi sans achever mê ; puis, il aura répété ce pronom après le na qui est nécessaire pour l’opposition qu’on veut marquer entre ce monde-ci et l’autre monde.

Il faut maintenant résumer en quelques mots ce qui résulte des analyses et des traductions comprises dans ce paragraphe. Si je ne m’abuse pas sur la valeur du mot âsinavê, et si je ne me suis pas trompé sur le sens de tout le passage, il restera établi qu’au temps du roi Piyadasi, le terme d’âsinava exprimait l’idée, ou plutôt la somme d’idées qu’on rendait dans la langue classique par âçrava, et que le pâli régulier a, probablement plus tard, représentée par âsava. L’importance qu’a certainement dans la doctrine morale des Buddhistes le mot âçrava donne à ce résultat une certaine valeur : c’est, comme je le disais en commençant cette discussion, un des liens les plus solides par lesquels, les inscriptions de Piyadasi puissent se rattacher au Buddhisme. Le Brâhmanisme, en effet, n’a rien à prétendre ici sur la valeur et l’emploi spécial de ce terme. Ce ne sont pas non plus des idées brâhmaniques que celles que le roi Piyadasi développe avec une sorte de complaisance. Après avoir rappelé en détail le bien qu’il a fait aux diverses espèces de créatures, depuis les hommes jusqu’aux plus humbles animaux, il semble se repentir des éloges qu’il vient de se donner à lui-même, et il expose d’une manière à la fois nette et ferme cette vérité, que l’homme sait bien voir ses bonnes actions, mais qu’il n’a pas d’yeux pour ses péchés. Le tour de ce morceau offre un caractère buddhique qui ne peut être méconnu. Ce ne sont pas là de ces vérités banales sur le mérite du Dharma ou du devoir accompli, et sur l’Ahim̃sâ ou la bienveillance pour les êtres, que M. Wilson a signalées pour montrer qu’elles appartiennent aussi bien au Brâhmanisme qu’au Buddhisme[1]. Je doute qu’on pût trouver dans les livres moraux de la littérature classique de l’Inde un développement semblable pour la forme à celui qui constitue la seconde partie de notre texte. Or ici c’est la question de forme qui l’emporte sur celle du fond, puisque la morale est le patrimoine commun des Brâhmanes et des Buddhistes. Pour moi, je ne puis m’empêcher de croire qu’en faisant écrire ce morceau, le roi Piyadasi devait avoir sous les yeux ou plutôt dans la mémoire cette belle maxime de Çâkyamuni qui répétait à ses Religieux : Vivez en cachant vos bonnes œuvres et en montrant vos péchés[2]. Ce rapprochement est, si je ne me trompe, un argument très-positif. Nous savons avec certitude que cette idée est buddhique puisqu’elle se trouve dans des Sûtras où ne paraît aucune trace de Brâhmanisme ; et il est très-probable, pour ne pas dire à peu près certain, qu’elle est étrangère aux livres des Brâhmanes, car on ne l’a pas encore rencontrée à ma connaissance dans ces livres, que l’on connaît cependant mieux que les textes attribués à la prédication de Çâkya.

  1. Journ. roy. asiat. Soc. of Great-Britain, t. XII, p. 239.
  2. Introd. à l’hist. du Buddh. ind. t. I, p. 170.