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L’AGE DU ROMANTISME.

blables de Serbie’. Il m’a encouragé de traduire encore ceux que vous publiez et de dire quelques mots sur votre ouvrage dans les feuilles publiques et d’écrire à Gœthe qu’il en parle dans son journal’: Kumt und AKerthum, dans lequel il vient de dire bien des choses flatteuses sur les miennes. J’ai fini la traduction des pièces contenues dans les feuilles communiquées qui vont jusqu’au commencement de Ihisloire de Maxime et Zoi’, et je vous prie, monsieur, de m’envoyer au plus tôt possible par la voie de la diligence le reste des feuilles qui composent le petit ouvrage, ou, s’il n’était pas encore fixé, au moins ceux qui sont parus depuis ce temps-là, pour me mettre à même de finir ma traduction allemande qui est faite en rythmes serbiens au lieu de la prose et comme on les chante dans leur pays. Je désire beaucoup de recevoir ces feuilles au plus tôt possible et avant de perdre l’envie et le goût pour ces poésies-là, et je me Halte que vous accomplirez mes désirs, comme M. Berger m’assurait que vous auriez la bonté de faire. J’ai l’honneur d’être, avec estime,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

W. GERHARD.

Soit qu’il ail été averti par Gerliard, soit que le livre lui ait été directement envoyé de France, Gœthe fut un des premiers à saluer l’apparition de la Guzla, et l’article qu’on peut lire dans les mélanges traduits par M. Délerot à la suite des Conrrrsations (II, 390 ; montre quel cas il faisait du livre et de l’autour qu’il n’avait pas ou de peine, disait-il, à deviner sous son déguisement : il lui avait suffi pour cela d’établir la corrélation frappante du mol lie Guzla et du nom de Gaziil : petite découverte qui ne lui aurait pas coûté grands efforts si, comme le prétend Mérimée, le secret lui avait été révélé par un Russe do passage à Wcimar.

Une autre anagramme, plus flatteuse et moins exacte, marqua, dit-on. le début des relations de Victor Hugo et de Mérimée : « Première prose (Prosper Mérimée) », aurait écrit le maître sur un exemplaire de la Guzla. Seul habitué des salons doctrinaires qui ait alors fréquenté le cénacle de la rue Notre-Dame-des-Champs, Mérimée conduisit Hugo chez les parents do miss Clarke (plus tard Madame Mohli où se rencontraient B. Constant, Fauriel, Henri Boyle. Il s’employa même avec plus de bonne volonté que de succès à vaincre l’antipathie mutuelle qui éloigna de tout temps l’auteur des Orientales de l’auteur de la Cliartreuse de Parme. Il oiTrit son propre salon pour une teiitalive d’accommodemenl qui n’aboulit pas et dont Sainte-Beuve, dans une lollre à M. Albert Collignon, a retracé la piquante mise en scène : « Je ne l’ai pas rencontré très souvent, lui écrivait-il à propos de Beyle, mais j’ai eu l’heur insigne de passer chez Mérimée une soirée entière avec lui (vers 1829 ou 18.30), et avec Victor Hugo qu’il rencontrait pour la première fois. 11 n’y avait d’étranger en sus, s’il m’en souvient, que Horace de Viel-Castel, un viveur spirituel. Quelle singulière soirée ! Hugo et Stendhal, chacun comme deux chats sauvages, de deux gouttières opposées, sur la défensive, les poils hérissés et ne se faisant patte de velours qu’avec des précautions infinies : Hugo, je l’avouerai, plus franc, plus large, ne craignant rien, sachant qu’il avait affaire dans Stendhal à un ennemi des vers, de l’idéal et du li/riqur. Stendhal jdus pointu, plus gêné, et (vous le dirai-je ?) moins grande nature on cela. Mérimée qui avait ménagé le rendez-vous, ne le rendait pas plus facile et n’aidait pas à rompre la glace » Cette raideur savait au besoin s’amollir. N’est-ce pas Madame Hugo qui nous a montré Mérimée s’offrant à réparer quelque bévue de sa cuisinière et le jour fixé, habit bas et tablier aux hanches, confectionnant un macaroni « qui eut le succès de ses livres’?)> Malgré le tardif désaveu du maître, il ne nous paraît nullement impossible que Mérimée lui ait conseillé, comme le dit Madame Hugo, de modifier le dénouement de Marion Delorme. Dans la première version, Didier partait pour

. Sur les chants serbes traduits en allemand par M"^ de Jacob et par Gerhard, voir une étude de Gœthe, traduite par M. Emile Délerot à la suite des Conversations de Gœthe recueillies par Eckermann (Charpentier, 2 vol. in-18).