Page:Busoni - Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises, 1841.djvu/16

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erreur ? erreur fort excusable, du reste, si l’on songe à la supériorité de leurs contemporains prosateurs, qui balance effectivement celle de leurs devanciers, et qui portait irrésistiblement ces critiques à étendre jusqu’à la poésie le bénéfice de l’analogie. Sauf les réserves que chacun peut faire, il est maintenant évident pour tous qu’il faut reporter un peu plus haut le berceau de la poésie du xviiie siècle, poésie légère s’il en fut, malgré la lourdeur de certaines de ses formes ; elle provient du genre Louis XIII, de l’hôtel Rambouillet et de l’influence italienne de Marini. Sous ce rapport, mademoiselle de Scudéry n’a pas un trait qui la distingue bien nettement des imitatrices de Bernis, de Dorat, et parfois de Voltaire et de Gresset, lorsqu’elles sont dans leurs bons moments : Scudéry a de plus que ses successeurs le précieux et la prétention savante, mais elle a de moins le jargon philosophique et le sensualisme musqué. Toutes également donnent à corps perdu dans le bel esprit et l’abus mythologique ; le temple des Grâces succède à la cour de Cythère. Ce n’est plus la carte du Tendre ; mais c’en est le commentaire, avec une variante (singulière variante) sur Locke et la philosophie des idées. Nous ne citons pas ; à quoi bon d’ailleurs quand on tient le livre ? toutes ces muses y sont, depuis les plus renommées (les plus prosaïques) jusqu’aux plus humbles, madame du Deffant et madame Bourette, mademoiselle de Vidampierre et madame Dubocage. La dernière inaugure pour ses compagnes ce qui sera demain l’école de Delille ; elle imite Milton, comme naguère Louis Racine imitait Pope. C’est bien moins, du reste, depuis l’hôtel de Rambouillet, une décadence qu’une transformation, ou, du moins, la décadence complète n’est reconnaissable que dans les bouts rimes de la comtesse de Beauharnais[1] et de l’inévitable madame de Genlis. La réaction et le renouvellement s’annoncent déjà dans madame Victoire Babois, poète véritable, trop oubliée de nos jours, qui a trouvé dans son cœur de mère des accents pleins de passion et de mélancolie, et qui nous amène, par une transition naturelle et charmante, jusqu’à nos contemporaines, si distinguées toutes les deux, mesdames Desbordes-Valmore et Tastu.

Philippe Busoni.
  1. Celle dont Lebrun-Pindare a dit :

    Églé, belle et poète, a deux petits travers :
    Elle fait son visage et ne fait pas ses vers.