Page:Busoni - Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises, 1841.djvu/15

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et à la dignité du grand siècle, elle prit le ton frondeur et sceptique, et se posa en métaphysicienne et en esprit-fort. Hesnault et Fontenelle furent ses dévoués, ses conseillers discrets peut-être encore plus que ses oracles, comme on l’a dit[1]. Ceci est le mauvais coin du portrait ; voici le beau : d’abord elle sait ce qu’elle veut, ce qui dénote toujours le talent ; elle a, un peu tard il est vrai, la tenue et la suite dans l’œuvre, le sentiment assez net et le ton juste du genre qu’elle cultive, et, lyriquement, elle les traite tous. Elle a la passion parfois et pour ainsi dire la souffrance dans le vers, charme si doux et si triste pour le lecteur. La puérilité de ses idylles n’en exclut pas la grâce, et, comme contraste assez rare, dans une femme surtout, elle s’élève jusqu’à la pensée et l’expression forte dans ses moralités, titre bizarre et qui, de sa part, semble rappeler le regret de s’être vu enlever par un maître la ressource de l’apologue et de la fable. Dans une de ces pièces elle dit :

Que l’homme connaît peu la mort qu’il appréhende
Quand il dit qu’elle le surprend !
Elle naît avec lui, sans cesse lui demande
Un tribut dont en vain son orgueil se défend.
Il commence à mourir long-temps avant qu’il meure,
Il périt en détail imperceptiblement.
Le nom de mort qu’on donne à notre dernière heure,
N’en est que l’accomplissement[2].

Il faut maintenant revenir un peu sur nos pas ; un autre nom de femme nous sollicite, et mérite aussi sa mention à plus d’un titre ; nom qui a eu une renommée voisine de la gloire, et qui n’a plus pour nous qu’une célébrité voisine du ridicule ; c’est celui de mademoiselle de Scudéry. On connaît tous les efforts, assez malheureux, on peut le dire, tentés par la plupart des critiques du siècle dernier, La Harpe, Marmontel, Marie-Joseph Chénier, pour rattacher la littérature poétique de leur époque à celle de Louis XIV ; s’agit-il de l’épître, de l’ode, du conte en vers ou du madrigal, ils ne jurent que par Boileau, La Fontaine et les autres. À les entendre, la filiation des plus fugitifs même de leurs contemporains-poètes s’établit parfaitement depuis Malherbe, en passant par la grande ligne et le chemin battu du grand siècle. Qui ne voit aujourd’hui qu’un certain air de ressemblance entre l’alexandrin tragique de Voltaire et celui de Racine, que le rapport métrique qui existe entre le vers de la Henriade et celui de l’Art poétique, a causé leur

  1. Voy. un article très-spirituel de M. Sainte-Beuve dans la Revue des Deux-Mondes, 15 octobre 1839.
  2. Buffon a fait plus qu’imiter ces quatre derniers vers dans son article
    Homme, Hist. Natur., t. 1, p. 90, édit. in-12.