Page:Busoni - Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises, 1841.djvu/11

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fondamental de notre langue reprend le dessus : c’est l’époque des Valois, des récits de Froissart et de Monstrelet ; ce je ne sais quoi qui sera un jour le théâtre comique va naître, Villon est bien près ; l’élément rieur et gausseur étouffe l’autre. La seule femme d’alors que l’on puisse citer, avec Charles d’Orléans, qu’elle a précédé[1], c’est Christine de Pisan, et elle se recommande beaucoup mieux par ses chroniques que par ses vers. Quant à Clotilde de Surville, c’est une de ces existences littéraires pour le moins douteuses, et sur lesquelles il est permis de se taire. L’éclipse se prolonge jusqu’à la fin du règne de Louis XII. Les seuls vers que l’on fasse sont ceux des soties et des pamphlets. La littérature, comme tout le reste, semble replongée dans le chaos. Avec François Ier, Marot, et bientôt après Ronsard, nous abordons la grande crise de la poésie et aussi de la langue.

Ici nous allons trouver, et il en sera à peu près de même jusqu’à la fin, des talents féminins remarquables, mais secondaires. L’esprit de secte qui était tout à l’heure, qui est encore dans la politique, va poindre et se développer rapidement dans l’art ; il y produira les écoles. Jusqu’à l’hôtel Rambouillet, les femmes s’y mêleront peu ou point ; mais si leur inspiration n’y perd rien, elle ne semble pas y avoir gagné non plus. Cette influence des écoles qui, depuis Marot jusqu’à Malherbe et au delà, vont se disputer la suprématie et la vogue, les femmes la subiront indirectement et de loin, sans l’avoir cherchée et comme à leur insu. En lisant ces pauvres muses un peu incertaines et effarouchées ainsi qu’il arrive toujours aux époques de fermentation, on reconnaît sans peine que ce qui leur manque principalement c’est la confiance en elles-mêmes, cette cause suprême des infériorités et des chutes ; la plupart cherchent un appui, j’ai presque dit une inspiration-homme, et elles la trouvent vite. Que ce soit dans le rimeur contemporain en vogue, le prince du Parnasse, comme on disait alors, ou dans un poète étranger et déjà ancien, ou bien enfin dans quelque auteur oublié, même de son vivant, peu importe ; la matière ou le prétexte à vers, on le tient, on s’en servira. Ne soyons pas injustes d’ailleurs envers des talents qui n’ont plus besoin d’indulgence ; à côté de cet esprit, de

  1. Ce petit-fils du roi Charles V était à la tête d’une pléiade de poètes, tous de race royale, qui tentèrent de réhabiliter la poésie provençale, dont le goût avait passé. La tentative faite par Ronsard un siècle plus tard n’est qu’une imitation et, pour ainsi dire, la contrefaçon de celle de Charles d’Orléans. Ronsard lui prit l’idée de ses procédés, sinon les procédés mêmes, car la réforme du poète royal était réfléchie et savante ; Ronsard lui prit aussi l’idée de sa pléiade, première ébauche de l’Académie. Enfin je ne suis pas bien sûr qu’il ne lui ait pas pris certaines de ses inspirations, car il y a énormément du provençal en lui.