Page:Busoni - Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises, 1841.djvu/173

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Voici la protestation que mademoiselle de Scudéry fit, au nom des filous, contre la requête des amants.


Prince, dont le nom seul fait trembler tous les rois,
Suspendez un moment la rigueur de vos lois ;
Souffrez que les voleurs vous demandent justice
Contre de faux amans tous remplis d’artifice :
A les entendre, ils sont fort maltraités,
Nous nous opposons seuls à leurs félicités,
Nous troublons leurs plaisirs ; les nuits les plus obscures
N’ont plus pour leur amour de douces aventures ;
Où sont-ils les amans que nous avons volés ?
Commandez qu’on les nomme, et qu’ils soient enrôlés
Hélas ! depuis dix ans que nous courons sans cesse,
Nous n’avons pu trouver ni galant ni maîtresse ;
Et, pour notre malheur, nous n’avons jamais pris
Ni portraits précieux, ni bracelets de prix :
En vain, sans respecter plumes, soutanes, crosses,
Nous avons arrêté et chaises et carrosses ;
Nous ne trouvons jamais, où s’adressent nos pas,
Que plaideurs, que joueurs, que chercheurs de repas,
Que courtisans chagrins, que chercheurs de fortune,
Dont la foule, grand roi, souvent nous importune,
Mais de tendres amans, vrais esclaves d’amour,
On en trouve la nuit aussi peu que le jour
C’estoit au temps jadis que les amans fidelles,
Pour tromper les Argus, montoient par les échelles ;
Qu’on les voloit sans peine au premier point du jour,
Et qui cachoient leur perte autant que leur amour
Sous votre grand ayeul, d’amoureuse mémoire,
Les filoux nos aveux, célèbres dans l’histoire,
Ne passoient pas de nuit sans prendre à des amans
Des portraits enrichis d’or et de diamans ;