Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/316

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dispensateur des grâces, avoit créance, ou il n’avoit pas été en état de les lui arracher en lui faisant peur, comme avoient fait la plupart des maréchaux de son temps.

Bussy donc, ayant reçu ce billet de Vivonne, monta à cheval aussitôt et l’alla trouver. Il rencontra ses amis fort disposés à se réjouir, et lui, qui d’ordinaire ne troubloit point les fêtes, fit que la joie fut tout à fait complète ; et, les abordant : « Je suis bien aise, mes amis, dit-il, de vous trouver détachés du monde comme vous êtes. Il faut des grâces particulières de Dieu pour faire son salut. Dans les embarras des cours, l’ambition, l’envie, la médisance, l’amour et mille autres passions y portent ordinairement les gens les mieux nés à des crimes dont ils sont incapables dans des retraites comme celle-ci. Sauvons-nous donc ensemble, mes amis ; et, comme pour être agréables à Dieu il n’est pas nécessaire de pleurer ni de mourir de faim, rions, mes chers, et faisons bonne chère. » Ce sentiment-là étant généralement approuvé, on se prépara pour la chasse l’après-dînée, et l’on mit ordre d’avoir des concerts d’instrumens pour le lendemain. Après avoir couru quatre ou cinq heures, le lendemain, ces messieurs vinrent affamés faire le plus grand repas du monde. Le souper étant fini, qui avoit duré trois heures, pendant lesquelles la compagnie avoit été dans cette gaîté qui accompagne toujours la bonne conscience, on fit amener des chevaux pour se promener dans le parc. Ce fut là que ces quatre amis, se trouvant en liberté, pour s’encourager à mépriser davantage le monde, proposèrent de médire de tout le genre humain ;