Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/342

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miens propres.—Tout beau, Monsieur le comte ! me dit-elle ; je ne suis pas si fâchée que vous le pensez. » Le lendemain, ayant trouvé Sévigny au Cours, il se mit avec moi dans mon carrosse. Aussitôt qu’il y fut : « Je pense, dit-il, que vous avez dit à votre cousine ce que je vous contai hier de Ninon, parcequ’elle m’en a touché quelque chose.—Moi ! lui répliquai-je, je ne lui en ai point parlé, Monsieur ; mais, comme elle a de l’esprit, elle m’a dit tant de choses sur ce chapitre de la jalousie qu’elle rencontre quelquefois la vérité. » Sévigny, s’étant rendu à une si bonne raison, me remit sur le chapitre de la bonne fortune, et, après m’avoir dit mille avantages qu’il y avoit d’être amoureux, il conclut par me dire qu’il le vouloit être toute sa vie, et même qu’il l’étoit alors de Ninon autant qu’on le pouvoit être ; qu’il s’en alloit passer la nuit à Saint-Cloud avec elle et

    qu’elle sçavoit de faits de tout âge. La considération, chose étrange ! qu’elle s’étoit acquise, le nombre et la distinction de ses amis et de ses connoissances, continuèrent quand les charmes cessèrent de lui offrir du monde, quand la bienséance et la mode lui défendirent de plus mêler le corps avec l’esprit. Elle sçavoit toutes les intrigues de l’ancienne et de la nouvelle cour, sérieuses et autres ; sa conversation étoit charmante ; désintéressée, fidèle, secrète, sûre au dernier point, et, à la foiblesse près, on pouvoit dire qu’elle étoit vertueuse et pleine de probité. Elle a souvent secouru ses amis d’argent et de crédit, est entrée pour eux dans des choses importantes, a gardé très fidèlement des dépôts d’argent et des secrets considérables qui lui étoient confiés. Tout cela lui acquit de la réputation et une considération tout à fait singulières.

    Elle avoit été amie intime de madame de Maintenon tout le temps que celle-ci demeura à Paris. Madame de Maintenon n’aimoit pas qu’on lui parlât d’elle, mais elle n’osoit la désavouer. Elle lui a écrit de temps en temps jusqu’à sa mort avec amitié. »