Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/345

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vous, Madame, il y a bien plus à craindre. J’ai pourtant été assez heureux pour le désabuser. Au reste, Madame, il est tellement persuadé qu’on ne peut être honnête homme sans être toujours amoureux, que je désespère de vous voir jamais contente si vous n’apprenez qu’à être aimée de lui. Mais que cela ne vous alarme pas, Madame ; comme j’ai commencé de vous servir, je ne vous abandonnerai pas en l’état où vous êtes. Vous sçavez que la jalousie a quelquefois plus de vertu pour retenir un cœur que les charmes et que le mérite. Je vous conseille d’en donner à votre mari, ma belle cousine, et pour cela je m’offre à vous. Si vous le faites revenir par là, je vous aime assez pour recommencer mon premier personnage de votre agent auprès de lui, et me faire sacrifier encore pour vous rendre heureuse ; et, s’il faut qu’il vous échappe, aimez-moi, ma cousine, et je vous aiderai à vous venger de lui en vous aimant toute ma vie.

Le page à qui je donnai cette lettre, l’étant allé porter à madame de Sévigny, la trouva endormie ; et, comme il attendoit qu’on l’éveillât, Sévigny[1] arriva de la campagne. Celui-ci ayant sçu de mon page, que je n’avois point instruit là-dessus, ne prévoyant pas que le mari dût arriver sitôt, ayant sçu, dis-je, qu’il avoit une lettre à rendre de ma part à sa femme, la lui demanda sans rien soupçonner, et, l’ayant lue à l’heure même, lui dit de s’en retourner, et qu’il n’y avoit nulle réponse à faire. Vous pouvez juger comme je le reçus, et je fus sur le point de le

  1. Voyez Walckenaer (t. 1, p. 21, 186, 269, 275, 276, 278, 285, 286, etc.) : « Ce Sevigny n’étoit point un honnête homme. » (Tallem. des Réaux, chap. 244.)