Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 1, éd. Boiteau, 1856.djvu/368

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de vous aimer aussi. Ce n’est pas assurément à cause que vous êtes belle, Madame, c’est encore parceque vous n’êtes pas coquette, que je vous aime.—Je le crois, Monsieur, me dit-elle ; mais, puisque vous ne désirez ni ne prétendez rien, ne m’aimez plus, car qu’est-ce qu’un amour sans désirs et sans espérance ? —Je ne prétends rien, lui dis-je, mais j’espère et je désire.—Et que pourriez-vous désirer ? reprit-elle.—Je souhaite, répliquai-je, que la Feuillade ne vous aime plus et que cela vous soit indifférent.—Et quand cela seroit, reprit-elle, croiriez-vous en être plus heureux ? —Je ne sçais si je le serois, Madame, lui dis-je ; mais au moins en serois-je plus près que je ne suis. » Et là-dessus je fis ce couplet de chanson :

Si vous aimer seulement
Est un assez grand tourment,
Vous pouvez juger du mal
Que l’on a quand il faut être
Confident de son rival.

Ce qui me consoloit un peu dans la vue de toutes les peines que me donnoit un amour sans espérance, c’est que j’étois sur le point d’avoir la charge de mestre de camp général de la cavalerie, et que, cette charge m’obligeant d’aller bientôt à l’armée, l’honneur me guériroit d’un amour qui n’étoit pas heureux. Quelques jours avant que de partir, je voulus adoucir le chagrin que me donnoit la violence que je me faisois à cacher ma passion, et, pour cet effet, je donnai à madame de Sévigny une fête si belle et si extraordinaire