Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/165

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reçurent souvent des grâces et étoient de tous les plaisirs, comme des gens qu’il aimoit particulièrement. Ce fut dans une vie si douce et si charmante que ces deux malheureux prirent tant d’amour et d’ambition qu’ils en perdirent la raison, et qu’ils se préparèrent des infortunes qui, possible, ne finiront qu’avec eux.

« Le comte de Guiche voyoit tous les jours Madame, et sentoit en lui-même augmenter sans cesse le plaisir qu’il prenoit à la voir, sans songer à ce qui lui en arriveroit. Mais la pente au précipice étoit grande ; il ne fut pas longtemps sans reconnoître qu’il avoit fait plus de chemin qu’il ne vouloit. Madame, d’un autre côté (sans savoir les pensées du comte), le regardoit d’une manière à ne le pas désespérer : elle a un certain air languissant, et quand elle parle à quelqu’un, comme elle est toute aimable, on diroit qu’elle demande le cœur, quelque indifférente chose qu’elle puisse dire. Cette douceur est un puissant charme pour un homme sensible comme l’étoit le comte : la beauté et le rang de la personne élevèrent dans son âme tant de brillantes espérances, qu’il n’envisagea les périls de son entreprise que pour s’en promettre plus de gloire.

« Enfin il s’abandonna tout à l’amour. Je le vis quelquefois rêveur et chagrin ; et, lui ayant un jour demandé ce qu’il avoit, il me dit qu’il n’étoit pas temps de l’expliquer, qu’il me répondroit précisément quand il seroit plus ou moins heureux qu’il ne l’étoit alors, et que par aventure il m’annonçoit qu’il étoit amoureux.

« À mon retour d’un voyage de trois semaines, je trouvai le comte qui m’attendoit chez