Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/239

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Il finit ces derniers mots par un profond soupir, que Mademoiselle ne laissa pas passer sans le remarquer ; car elle l’observoit de trop près pour perdre la moindre de ses actions. « Mais, monsieur de Lauzun, dit Mademoiselle, d’où vient que vous soupirez ? Vous me prédites de si belles choses, cependant vous les finissez par un grand soupir ! Et où est donc cette joie que vous vous en promettez ! Il me semble que ce n’est pas en soupirant que l’on reçoit de la joie et du plaisir. Comment voulez-vous donc, poursuivit cette princesse en souriant, que j’explique ceci ? — Ha ! Mademoiselle, répondit-il, un esprit aussi intelligent comme est le vôtre n’aura pas bien de la peine à donner une application juste à cette action, surtout quand elle se souviendra que c’est après ces choses que l’on désire ardemment que l’on soupire. — Il est vrai, répondit Mademoiselle ; mais aussi vous n’ignorez

    marierai ? je ne serois pas fâchée que vous l’eussiez deviné. » Elle me dit : « C’est sans doute à M. de Longueville ? » Je lui répondis : « Non, c’est un homme de très-grande qualité, d’un mérite infini, qui me plaît depuis longtemps. J’ai voulu lui faire connoître mes intentions, il les a pénétrées, et, par respect, il n’a osé me le dire. » Je lui dis : « Regardez tout ce qu’il y a de gens ici, nommez-les l’un après l’autre, je vous dirai oui lorsque vous l’aurez nommé. » Elle le fit, et, après m’avoir parlé de tout ce qu’il y avoit de gens de qualité à la Cour, et que je lui avois toujours dit que non, et que cela eut duré une heure, je lui dis tout d’un coup : « Vous perdez votre temps, parcequ’il est allé à Paris ; il en doit revenir ce soir. » L’aveu ne pouvoit être plus formel, car, quelques jours auparavant, M. de Lauzun avoit dit à Mademoiselle : « Je m’en vais à Paris, et je serai ici sans faute dimanche. » (Voy. Mém. de Madem., édit. citée, 6, p. 92-93, et cf. p. 91.)