Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/26

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le repos du Roi, il passa dans la chambre de sa nièce, où, la trouvant dans le même état que l’avoit trouvée le duc de Saint-Aignan, il lui dit : « Revenez, mademoiselle, de vos égaremens. Il vous convient bien de vouloir détruire le repos d’un Roi nécessaire à toute l’Europe ! Voilà la réponse que vous avez faite à la lettre que vous avez reçue de lui ; envoyez-la-lui par le duc de Saint-Aignan. Je suis à couvert de toutes ses suites, parce que je suis résolu de faire penser que vous n’êtes point née pour monter sur le trône de France [1], et que vous ne devez être, tout au plus, que la femme d’un petit gentilhomme. »

Ces paroles, qui furent dites d’une manière pénétrante

  1. Quoi qu’on ait pu dire jusqu’ici, et malgré les préjugés, la conduite de Mazarin, dans toute cette affaire de mariage, est au dessus de tout éloge. Nous ne pouvons croire qu’il eût consenti à laisser épouser au Roi une de ses nièces ; et il nous paroît certain qu’il préféroit l’intérêt évident de la France, qui se trouvoit dans l’alliance espagnole, à l’intérêt douteux de sa maison, de Marie en particulier, dont l’indépendance et les sentiments hostiles lui étoient connus. « Je sçay, écrivoit Mazarin au Roi, le 21 août 1659, je sçay à n’en pouvoir douter qu’elle ne m’ayme pas, qu’elle mesprise mes conseils, qu’elle croit avoir plus d’esprit, plus d’habileté, que tous les hommes du monde, qu’elle est persuadée que je n’ay nulle amitié pour elle, et cela parce que je ne puis adhérer à ses extravagances. Enfin je vous diray, sans aucun déguisement ny exagération, qu’elle a l’esprit tourné. » Le 28 août, il ajoutoit : « Il est insupportable de me veoir inquiété par une personne qui, par toutes sortes de raisons, se devroit mettre en pièces pour me soulager » ; et il rappeloit au Roi une lettre de Cadillac où il disoit à Sa Majesté (16 juil. 1659) : « Je n’ay autre party à prendre, pour vous donner une dernière marque de ma fidélité et de mon zèle pour votre service, qu’à me sacrifier, et, après vous avoir remis tous les bienfaits dont il a plu au feu Roy, à vous et à la Reine de me combler, me mettre dans un vaisseau avec ma famille, pour m’en aller en un coing de l’Italie passer le reste de mes jours et prier Dieu que ce remède que j’auray appliqué à votre mal produise la guérison que je souhaite plus que toutes les choses du monde, pouvant dire sans exagération que, sans user des termes de respect et de soumission que je vous dois, il n’y a pas de tendresse comparable à celle que j’ay pour vous, et qu’il me seroit impossible de ne pas mourir de regret si je vous voyois rien faire qui pût noircir votre honneur et exposer votre état et votre personne. » Tel est le ton général des lettres de Mazarin. Sa lettre du 28, très longue et très pressante, fut mal reçue de S. M. Le Cardinal, dans une dernière lettre, répond au Roi avec une dignité et une fermeté qu’on ne sauroit trop reconnoître.