Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/83

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quand sa petite chienne l’éveilla par ses jappemens ; elle entendit du bruit à ses fenêtres et marcher dans sa chambre ; elle courut dans celle de ses filles ; tous les gens de la maison virent des crochets et des échelles de cordes. Cela fit grand bruit. Dès le matin le Roi le sçut, qui alla la voir pour être éclairci de la vérité. Quand il l’eut sçue par elle-même, il en fut épouvantablement troublé ; il lui donna cette même semaine des gardes et un maître d’hôtel pour goûter tout ce qu’elle mangeroit. Chacun en philosopha à sa mode, mais les habiles gens jugèrent bien de qui ce coup venoit. Depuis cet accident, l’amour du Roi augmenta, et la peur de la perdre le fit pâlir mille fois en compagnie. Madame, qui n’est pas tout à fait de cette trempe, ne laissoit pas de se divertir, quoique le comte de Guiche fût absent. Un jour qu’elle causoit avec le Roi, elle tâchoit encore à le séduire : en tirant un mouchoir de sa poche, elle laissa tomber une lettre [1] que monsieur de Vardes avoit écrite, laquelle disoit positivement toute la lettre qu’on avoit

  1. Ce n’étoit pas sans dessein : « Madame la comtesse de Soissons eut quelques démêlés avec Madame ; celle-ci, pour s’en venger, dit au roi que la comtesse de Soissons et Vardes avoient écrit cette lettre (la lettre espagnole) ; Vardes fut envoyé prisonnier à Montpellier (où il resta deux ans). Madame de Soissons en fut enragée. Elle avoua au roi que c’étoit le comte de Guiche qui l’avoit écrite, parce qu’il savoit parfaitement l’espagnol ; qu’elle l’avoit su, et que Madame y avoit eu part. Vardes demeura toujours en prison. Le comte de Guiche fut envoyé en Pologne ; madame la comtesse de Soissons fut chassée, et Madame traitée assez mal par le Roi. Voilà ce qu’un démêlé de femmes attira à ces deux messieurs. » (Mém. de Montpensier, édit. cit., 5, 235-236.)