Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 3, éd. Boiteau, 1858.djvu/194

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de si grands seigneurs, c’étoit une espèce d’amende honorable pour lui. Le Roi lui dit qu’ayant entendu parler de sa probité et de sa piété, il étoit étonné qu’étant pasteur, il donnoit retraite la nuit à des larrons. Il protesta au Roi qu’il ne les connoissoit pas, et que quand il les avoit retirés il ne les avoit pas crus tels ; mais que du moins ils ne lui avoient rien pris. Le Roi lui demanda s’il les reconnoîtroit bien en cas qu’il les vît ; il répondit qu’il croyoit qu’oui. Le Roi donna ordre tout bas d’appeler Monseigneur et le Grand Prieur, et comme ce dernier vint un peu le premier, le curé, l’apercevant, se mit à crier : « Sire, en voilà un ! » Et le Dauphin venant ensuite, il s’écria derechef : « Sire, voilà l’autre ! » Le Roi lui dit : « Je vous ferai faire bonne justice, ne vous mettez pas en peine. » Mais comme le curé vit que toute la Cour portoit un grand respect à Monseigneur, qu’il n’avoit jamais vu et ne connoissoit que par ouï dire, ne s’étant jamais bougé de son village, il revint à lui, et, connoissant sa méprise, il demanda pardon de sa faute. Le Roi, qui est naturellement fort généreux, lui fit donner une pension de cinq cents écus par an pour passer sa vie à son aise et se ressouvenir d’avoir logé le Dauphin de France. « Allez, dit le Roi, logez toujours dans votre maison de tels larrons, et ressouvenez-vous de moi dans vos prières. » Je laisse à juger avec quelle joie monsieur le curé s’en retourna chez lui. Et cette aventure fut l’entretien de la Cour pendant un temps.