Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/26

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manière dont il devoit s’y prendre pour expliquer ses sentiments à cette fière personne ; que, de peur de l’effaroucher, il lui fît entendre que toute la grâce que le Roi demandoit d’elle, étoit de souffrir qu’il lui parlât de sa passion ; qu’il aimeroit mieux mourir mille fois plutôt que d’avoir la moindre pensée de la déshonorer, et qu’il ne se serviroit jamais de son autorité pour lui faire aucune violence ; qu’il bornoit tous ses désirs et toutes ses prétentions à la voir, à l’aimer, et à lui parler quelquefois de son amour.

Le duc reçut cette ambassade avec autant de plaisir que si elle se fût adressée au plus grand prince de l’Europe. Il part comme un autre Mercure, pour exécuter les ordres de son Jupiter ; et certainement le Roi ne pouvoit pas jeter les yeux sur une personne plus propre à s’acquitter de ce difficile emploi, que l’étoit le duc de La Feuillade. Il avoit de l’esprit, de la politesse, un grand usage du monde, une éloquence qui lui étoit naturelle, et une bonne mine qui persuadoit déjà avant qu’il ouvrît la bouche. Mais ce qui le rendoit plus propre à la commission que le Roi lui avoit donnée, c’est qu’il avoit une grande expérience dans le commerce des femmes ; il en connoissoit le fort et le faible ; il avoit eu avec elles de bonnes fortunes et plusieurs galanteries ; il avoit en un mot toutes les qualités propres pour plaire au beau sexe. Il étoit civil et entreprenant, insinuant et hardi, libéral, soumis, complaisant, mais aussi vigilant, pressant, actif, et ne perdant jamais une occasion favorable aux amants, qui est ce qu’on appelle l’heure du berger.