Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 4, éd. Boiteau, 1876.djvu/70

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étoit plus propre alors à inspirer la compassion que l’amour, et l’on voyoit dans ses yeux et sur son visage toutes les marques d’un véritable désespoir. De sorte que le Roi, qui l’aimoit plus que sa propre vie, et qui craignoit pour elle quelque chose de funeste, lui redemanda son épée, la fit remonter à cheval, et, après y être monté lui-même, ils sortirent de ce vallon, montèrent sur une des deux collines, et découvrirent de loin leurs chasseurs qui venoient de forcer un cerf. Ils étoient assez en peine de savoir où pouvoit être le Roi, et il n’y avoit que le duc de La Feuillade qui s’imaginât ce qui en étoit. Il ne les eut pas plus tôt joints, qu’il leur dit qu’il s’étoit posté à un endroit avec la comtesse, où il croyoit voir passer la bête, mais qu’il n’avoit pas eu tout le plaisir qu’il s’étoit promis, ni la comtesse non plus, avec laquelle il avoit espéré de le partager. Il n’y eut que le duc de La Feuillade, qui savoit l’amour du Roi, qui comprit le sens caché de ces paroles. Et la comtesse, qui vouloit bien qu’on l’entendît de la chasse, prit incontinent la parole et dit qu’elle ne s’étoit jamais tant ennuyée. — « Vous ne devez vous en prendre qu’à moi, lui dit ce prince, car c’est moi qui vous ai conseillé de prendre ce méchant poste. — Je ne m’en prends, dit-elle, qu’à ma mauvaise fortune, ou à cette maudite bête, qui n’a pas voulu passer devant nous, et qui fuit, je crois, devant Votre Majesté, comme tous vos autres ennemis. »

Quoiqu’elle n’eût pas grande envie de plaisanter, elle fit pourtant un effort sur elle-même, pour cacher le désordre de son cœur, qui étoit encore