Page:Byron - Œuvres complètes, trad. Laroche, III.djvu/19

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austérités telles qu’elles donnent à celui qui les pratique autorité sur l’air, et sur les esprits de l’air et de la terre, de l’espace et de l’infini peuplé, je rendis mes yeux familiers avec l’éternité : ainsi firent autrefois les mages et celui qui à Gadara évoqua du sein de leurs ondes Éros et Anteros, comme je t’évoque aujourd’hui ; et avec ma science s’accrut en moi la soif de connaître, et la puissance et la joie de cette brillante intelligence, jusqu’à ce que…

La fée. Poursuis.

Manf. Oh ! je n’ai ainsi prolongé ce récit, je ne me suis appesanti sur l’éloge de ces vains attributs, que parce qu’à mesure que j’approche de la plaie vive de mon cœur désolé… Hais, continuons. Je ne t’ai parlé ni de père, ni de mère, ni de maîtresse, ni d’ami, ni d’aucun des êtres auxquels j’étais enchaîné par les liens de l’humanité : si de telles personnes existaient, elles n’étaient point telles à mes yeux, — pourtant il en était une….

La fée. Ne t’épargne pas, — poursuis.

Manf. Elle me ressemblait. Elle avait, disait-on, mes yeux, mes cheveux, mes traits, tout, jusqu’au son de ma voix ; mais tout cela avait chez elle un caractère plus doux et était tempéré par la beauté. Elle avait, comme moi, les pensées-solitaires et rêveuses, la soif de connaître les choses cachées, et un esprit capable de comprendre l’univers. À cela elle ajoutait des facultés plus douces que les miennes, la pitié, le sourire et les larmes que moi je n’avais pas, et la tendresse ; mais ce sentiment-là, je l’éprouvais pour elle ; et l’humilité, que je n’eus jamais ; ses défauts étaient les miens, ses vertus étaient à elle seule. Je l’aimais et je la lis mourir !

La fée. De ta main ?

Manf. Ce fut l’œuvre, non de ma main, mais de mon cœur, — qui brisa le sien : — son cœur regarda le mien et se flétrit. J’ai versé du sang, mais ce n’est pas le sien ; — et pourtant son sang fut versé, — je le vis couler — et ne pus l’étancher.

La fée. Et c’est pour un tel objet, — pour un être de la race que tu méprises et au-dessus de laquelle tu voudrais l’élever pour t’unir à nous et aux nôtres, que tu négliges les