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Page:César - Au moulin de la mort, 1892.djvu/109

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reux sentiment fit battre plus vite le cœur de la vieille femme. Elle se reporta en esprit à sa jeunesse, à l’époque de sa vingtième année : jamais elle n’avait été heureuse. Seule enfant d’une mère légère, elle s’était trouvée unie à Jean Gaudat pour ainsi dire sans le savoir, en tout cas sans ressentir pour lui le moindre amour. Aussi, et déjà les premiers mois de sa nouvelle existence, elle comprit qu’elle avait un maître et que, pour vivre en paix, il fallait lui obéir. Un brutal, son mari, doublé d’un sournois, un homme qui, pour quelques gros sous, était prêt à tout. En avait-elle vu, avec lui ! À la longue et de par la nécessité des circonstances, elle s’était soumise et sa nature, rebelle à toute énergie, à tout effort de volonté, s’était pliée insensiblement aux caprices de son seigneur qui, parfois, lui faisait peur.

Ah ! oui, peur.

C’est aussi pour chasser l’effrayante vision qui revenait sans trêve l’assaillir qu’elle s’était adonnée à l’avilissante passion de l’eau-de-vie. Souvent elle croyait l’avoir terrassée, la vision maudite de cette nuit de juin, quand un jeune et bel homme, dans la force de l’àge, était entré chez eux pour n’en plus sortir. Mais, vain espoir ! À partir de ce jour, c’en avait été fini