Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/107

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— Laisse donc faire c’est pas une grosse perte pour le pays, va, ceux qui vont tuer des Boers méritent de laisser leurs os là bas, c’est pas des Canadiens bien sûr.

— C’est égal le principe veut…

Les voix se perdent dans la cohue. S’avance une jolie fillette : figure claire de soleil, cheveux fous, yeux noirs, ravissante de jeunesse et de fraîcheur. Un vieillard essoufflé, l’œil égrillard, marche dans ses traces en marmottant je ne sais quoi. La fillette inquiète, se retourne plusieurs fois sentant peser sur son innocence ce regard de vautour. Brusquement, elle s’arrête, haletante, superbe d’indignation :

— Passez votre chemin, vieux polisson, ou je vous fais prendre par la police !…

Les voitures s’embarrassent sur les rails des tramways dans un tohu-bohu infernal.

— Hue César !…

Et les coups de fouet pleuvent sur un animal rétif, sans que le cuir tanné du vieux cheval frémisse sous l’insulte.

— Avanceras-tu ?…

Le conducteur vocifère, les cochers narquois feignent de grands efforts pour dégager la voie, ravis au fond de causer des ennuis à la Compagnie qu’ils abhorrent. Les passagers, dans le retard du souper, roulent des yeux furieux.

— Hue donc César !…

Mais la bête lourdement s’affaisse sur la terre glacée, la gueule blanche d’écume, les naseaux frémissants, les lianes haletants, son grand œil doux plein des affres de l’agonie. Malgré le froid, il se fait un rassemblement, les nouveaux venus poussent par derrière : Qu’est-ce qu’y a ? Qu’est ce qu’y a ? Des femmes avec des enfants dans les bras sont au premier rang…