Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/149

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ceux qu’elle aime tant, elle, et qui, on ne sait pourquoi, l’éloignent d’eux…

Une main douce se pose sur son épaule.

— Mon enfant, pourquoi n’allez-vous pas vous amuser avec les autres ? On joue à l’oiseau-bleu là-bas, mêlez-vous à la ronde…

Mais, un événement vient faire diversion à la mélancolie de Juliette. On amène à la « récréation » une petite « nouvelle. » L’air gauche, les bras minces comme des branches, la fillette a l’air d’être grimpée sur des échasses. Elle rougit et se trouble sous les regards de ces cent yeux qui la dévisagent. Les « grandes » la toisent avec hauteur. Toutefois, on l’entoure, on la presse de questions. D’espiègles petites femmes, déjà, la palpent, l’auscultent sous tous les sens, puis elles laissent tomber sur la pauvrette un regard dédaigneux. D’autres pouffent de rire sans merci.

— Est-elle commune !…

— Et mal habillée !

— Bien sûr que son papa est un ouvrier.

— Et sa maman, une revendeuse au marché !…

— Pouah ! elle sent l’échalotte. Ah ! Ah !…

Pauvre « nouvelle, » elle a surpris ces rires méchants.

Son âme, comme une sensitive, a frissonné sous un souffle du nord pour se refermer à jamais, peut être, si elle est fière et timide. Le soir, quand les pas de la sœur gardienne résonnent sur le parquet ciré du dortoir, scandés par la respiration régulière des dormeuses, perdue au milieu de ces lits blancs, comme dans une immense plaine blanche des boréales campagnes, la fillette tremble de tous ses petits membres. À la lueur vacillante d’une veilleuse, des ronds s’agrandissent et diminuent sur les rideaux des cellules, prenant mille formes bizarres ; des silhouettes s’accusent, une ombre grise semble peser sur