Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
209
bleu — blanc — rouge

Le vieux cette fois essaya de se lever, mais il ne le put. On eut dit que son corps était devenu de plomb, une faiblesse plus grande faisait trembler ses jarrets et cassait ses reins. Lui, qui ne parlait jamais, les paroles se pressaient dans son gosier, brisées, haletantes.

— Ma fille, c’est mal de parler ainsi devant vos enfants, ça vous sera remis plus tard, vous saurez le dire. Autant que vous, j’ai hâte que le bon Dieu vienne me cri, mais attendez, j’peux toujours pas me tuer, attendez…

— Bon, plaignez-vous maintenant ! Allez rapporter aux voisins qu’où vous maganne, qu’on vous fait pâtir, que vous crevez de faim, quand vous êtes toujours comme au snaque

Mais, elle pouvait jacasser indéfiniment, la vilaine pie, le vieillard ne l’écoutait plus. Le petit dernier avait disparu de la table commune, et tout doucement vint appuyer sa tête sur les genoux du grand’père — « Me plendre ? » dit-il, et câlin, sa tête bouclée s’appuyant sur l’épaule du vieillard, il lui souffla dans l’oreille : « À pepère le petit garçon, pas un morceau aux autres. »

C’était une douce protestation de l’innocence en faveur d’une autre innocence ! Elle descendit comme un rayon de soleil dans l’âme navrée de l’aïeul.

L’ombre s’accumulait aux soliveaux noirâtres, la bouilloire chantait sur le poêle, le chat ronronnait les yeux mi-clos. En face de la maison, le soleil s’emmitouflait de voiles pourpres, les collines lui envoyaient un dernier baiser et la plaine s’anuitait dans un manteau de caresses laissé par le disparu. Ah ! qu’il fait bon partir ainsi.

Le vieux berçait toujours l’enfant, ce petit cœur qui battait contre le sien le pénétrait d’une douce chaleur. Il chantonnait tout bas. « Adieu, beau ciel de France ». Soudain la voix se brisa et des larmes brûlantes se mirent à couler lentement de ses yeux sur le front de l’enfant