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bleu — blanc — rouge

Pourtant, en ce siècle de jouissances effrénées, où le sens pratique a pris une acuité désolante, les vieux parents deviennent une non valeur, un colis embarrassant que l’on jette par-dessus bord, pour alléger la barque. Je sais nombre de gens fortunés à qui l’on ne refuse pas la main, dont les père et mère languissent loin de leur foyer, confiés à des étrangers, mêlés à la tourbe des pauvres mendiants de la rue. Ces dénaturés mènent joyeuse vie, sans se douter de l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des fils ingrats : « Honore tes parents, si tu veux vivre longuement. » Eh bien, voilà une honte indigne d’une nation civilisée ! Les hôpitaux, les hospices sont élevés par la charité publique pour les malheureux sans famille et sans gîte, afin de réparer à leur égard la dureté du sort, et non pour favoriser l’ingratitude des enfants. Mais, c’est une cruauté que d’arracher les aïeuls de la maison où s’est écoulée leur vie. À un âge avancé, les habitudes sont devenues tyranniques : il faut que l’on finisse ses jours dans un milieu analogue à celui où l’on a vécu.

Pauvres vieux !…

Le règlement impeccable d’une communauté les brise, la nourriture plus délicate, mieux préparée, peut-être, ne vaut pas pour eux les ragoûts et les anciens mets canadiens auxquels ils sont habitués. Cette politesse, ces petits soins que les hospitalières leur prodiguent les gênent. Habitués qu’ils sont, disent-ils, à se servir tout seux. À cet âge-là, on ne prend plus racine dans une autre terre. Résignés à leur sort pourtant, sans un mot de reproche, ils s’éteignent dans l’exil d’une maison de charité au bout de quelques mois d’internat, tués par un chagrin secret, qu’ils emportent avec eux, mais que je vous dévoile : vos parents sont morts assassinés par votre égoïsme.

Ah ! malheureux, vous n’avez pas voulu recueillir sur