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bleu — blanc — rouge

dans des spasmes de damnées. Combien de printemps ont soupiré avec le bruissement de ses jeunes feuilles, que d’amoureux il a abrités de son ombrage, que de choses grisantes il leur a soufflées au cœur, alors que les éventails verts de ses rameaux taquinaient les nuques blondes des belles rêveuses ! Las ! maintenant les aquilons ou les zéphirs ne lui arrachent plus que des soupirs rauques, des éclats de voix cassée et sèche comme des accords de castagnettes, dans un frisson de squelette où s’entrechoquent leurs os au requiem du vent. Pourtant, les avrils nichent encore des sourires sur les rameaux languissants du vieil arbre, qui çà et là se pomponne de vert tendre.

Les oiseaux fidèles au tronc rabougri reviennent y cacher leurs amours, des plantes grimpantes rajeunissent la souche épuisée, la mousse, comme une redingote de velours vert, serre la taille toujours droite du vieux beau, qui garde grand air au milieu des jeunes arbres, ses rejetons, rangés comme des soldats d’airain autour de leur chef, le défendant contre le bataillon des ouragans. Quand le coup de foudre, qui zèbre le ciel noir, électrocute le cœur du géant, la forêt gémit, le sol tremble, les oiseaux terrifiés filent dans l’air comme des flèches, le dieu tombe au roulement du tonnerre, dans une fulguration d’incendie, comme tombent les superbes et les glorieux.

Ah ! mourir ainsi dans un apothéose, comme le chêne des forêts, tel n’est pas ton destin, ô homme, que la vieillesse, la maladie, l’ingratitude, l’indifférence poussent à la tombe, comme un fruit pourri que le vent de novembre écrase sur le sol, matière noirâtre, informe et sans parfum, fumier déjà que la terre maternelle rendra vivante à jamais sous une forme subtile et odorante dans une perpétuelle transformation.