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bleu — blanc — rouge

Tombe en l’opacité de l’abîme infini,
Et l’espace reprend ses flamboyants mensonges.

D’où viens-tu donc, ô toi, misérable astronome,
Qui semble étonné de voir dans un rayon
Se mêler au flot d’or le périssable atôme.
Et dans la goutte d’eau l’infime vibrion
Souiller la pureté de l’onde cristalline ?
Quand la nue étoilée étend son dais brillant,
Tissé des fils vermeils de la splendeur divine,
Vois-tu le monde éteint, comme un obus sanglant,
Trouer la voûte sombre et rouler dans le vide ?
Vois-tu le disque clair de l’astre de la nuit
L’œil cerné d’un halo, rayonnement livide,
D’où s’égrennent des pleurs quand l’aube du jour luit ?
Le soleil radieux a des macules noires,
Sa hauteur dans l’azur ne le met à l’abri
Des aquilons mauvais qui soufflent sur nos gloires.
Ainsi d’une vapeur le miroir est terni,
Au baiser passager de l’âme qui s’envole.
Rien de pur dans les cieux, rien de pur ici-bas,
La fange au sein des fleurs, l’argile dans l’idole,
Le ver au cœur du fruit, l’amour, l’amour, hélas !
Entaché d’égoïsme, esclave des faux dieux,
Souillé de bave immonde en l’âme virginale :
La puérile enfant où dans l’azur des yeux
Se mire la pervenche, a sur sa lèvre pâle
Le sourire trompeur qui distille la mort
Dans la coupe vermeille où l’on boit l’ambroisie.

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Brisant le fil impur qui retient ton essor,
Tu fuis vers l’idéal, ô barde Crémazie !
Plus est lourd le boulet, plus ton aile est puissante,
Et plus grand est l’élan qui pousse vers les cieux
Notre aigle canadien, dont la trace aveuglante
Fait rager en son trou le reptile envieux.
Il brave le venin qui ne saurait l’atteindre :
La fange du chemin ne souille un front altier !
Cœurs doucement émus, cessez-donc de le plaindre.