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bleu — blanc — rouge

Ils implorent la pitié de l’auditoire qui trépigne et siffle. Voilà que les larmes roulent sur ses joues ; la couche épaisse de poudre de riz délayée qui dissimule « des ans l’irréparable outrage » coule dans le cou où les veines saillissent comme des cordes de violon. Et le masque apparaît dans toute sa hideur ridicule. Un immense éclat de rire, bruyant comme un tonnerre, foudroie la malheureuse que l’on emporte mourante.

« Que vous ai-je fait, pour être chassée honteusement comme une mendiante ? soupire la déesse des neiges. Tu m’aimais tant, ô poète, qui chantais sur ton luth la parure diamantée des forêts, la chute cascadant comme un écureuil, sur les rochers engivrés. Tu disais, dans tes strophes, la douceur de ce tapis moelleux fait, il semble, de duvet de tourterelle, si léger que les fées y peuvent venir danser, le soir, sans laisser de trace. Et, maintenant, ingrat, ta lyre frémit comme la harpe d’Éolie, au souffle naissant de la brise printanière. Tu m’aimais, ô artiste, qui jetais sur la toile la mélancolie des nuits d’hiver, et la clarté mystérieuse de la lune versant sa pâleur sur la campagne immense, la forêt blanche où les bouquets d’arbres empanachés ressemblent à ces dais que l’on tient au-dessus de l’officiant dans les processions. Et maintenant, je ne vois, sur ta palette, que du bleu doux, du rose tendre et du vert, toujours du vert ; sur ton chevalet, un gros soleil rougeaud, avec une immense chevelure rousse. Horreur !

Amoureux, rappelle-toi la poudre irisée que je faisais tomber sur la chevelure de ta douce amie, et qui la faisait ressembler à une marquise Pompadour. Sur ses joues, sur son menton, tu vantais ce fard exquis que la bise glaciale y savait mettre. On eut pris son joli bec pour une cerise. Vous rêviez alors d’un bonheur ouaté, doucement pelotonnés au coin du feu… Vilain ingrat, tu ne détournes pas la