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bleu — blanc — rouge

des ans qui s’épaissit de plus en plus autour de leurs fronts pâles… Oh ! si notre rétine, comme une plaque sensible, gardait l’empreinte de leurs figures aimées !

La légende veut que chaque année les morts reviennent sur la terre, franchissant avec la rapidité de l’éclair les millions de lieues qui les séparent de notre planète pour se rendre aux appels des parents et venir consoler leurs cœurs désolés.

Pauvres morts, à quelle implacable loi obéissez-vous, en revenant sur nos bas lieux, témoins de vos souffrances, de vos luttes, de vos anxiétés passées ? Êtes-vous curieux de savoir quel sillon votre barque a creusé dans ce flot mouvant qu’elle a traversé, vous qui vibrez encore de l’angoisse du départ et du déchirement des adieux ? Toi, douce fiancée, qui croyais à l’amour éternel qu’on t’avait juré, comme en Dieu même, vois-le cet infidèle, au bras de ton amie d’enfance, la même qui sanglotait, la tête cachée dans les draps, quand ton âme brisait ses liens charnels et tombait tout effarée dans la grande ombre !

Regarde-les, tous deux, s’agenouiller sur le tertre où tu reposes, mais leurs yeux s’attirent, leurs mains se cherchent… oh ! qu’ils sont loin de ton souvenir !

Toi, mère dévouée, épouse aimante, qui vois ton enfant relégué dans une sombre alcôve, étouffant ses pleurs par la crainte d’être entendu de la marâtre, qui dort calme et souriante dans la chambre nuptiale, fière de la faveur du maître et de sa préférence sur la « morte. » Pauvre orphelin, il s’endort le soir sans un baiser, sans une douce main pour border son petit lit.

Et vous, père malheureux, qui assistez aux dissensions de votre famille, vous voyez cette fortune, amassée sou par sou, dilapidée par des mains prodigues, votre nom sans tache traîné dans la fange, votre mémoire honnie !

Oh ! ces soupirs, ces plaintes des nuits de novem-