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la terre ancestrale

Seules les lettres de sa sœur avec les conseils de sa mère, l’empêchaient, sans qu’il le réalisât lui-même, de descendre encore plus bas. Quelquefois, sa bonne formation première le faisait réagir. Alors, il aurait voulu lire un peu, se cultiver l’esprit comme il le faisait avec sa sœur à la maison paternelle. Mais, où prendre un livre dans cette pension ? On y lisait à peine les journaux jaunes. En acheter ? Le peu d’argent qui lui restait servait à figurer le mieux possible avec ses amis de cabaret. Quand il voulait se retremper, pratiquer sa religion en chrétien comme chez lui, il se heurtait à son milieu, aux railleries de ses compagnons, à l’alcool trompeur étourdissant ses salutaires regrets. Il vivait ainsi comme un être qui ne pense pas. À une rude journée de travail succédait une soirée de ripaille, puis un sommeil alourdi par les liqueurs. Petit à petit, il enfonçait sans le savoir ; les soubresauts de sa conscience se faisant de plus en plus rares, ce genre de vie nulle et stupide lui devenait familier. Bientôt il ne verrait plus rien en dehors de ce cercle : travailler uniquement pour manger et jouir de plaisirs malsains. La prédiction de son vieux curé ne se réalisait hélas que trop vite. Quelquefois, quand la pénurie d’argent le forçait à la tranquillité, il pensait au temps où il était son maître à la maison paternelle, au temps la vie s’écoulait libre et paisible au