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La littérature de l’époque

Hôtel-Dieu, Montréal,
29 décembre 1800.

Mon cher cousin,

S’il me reste encore une teinture de mythologie, il me semble que les anciens faisaient du premier de janvier la fête de Janus à deux visages et peut-être que quelques modernes en font-ils encore autant, mais pour moi qui ne rends aucun culte à cette double divinité, et qui n’ai qu’un visage comme je n’ai qu’un cœur, je viens vous renouveler, au commencement de cette année, les sentiments que je vous ai toujours voués, ainsi qu’à ma chère Souris (nom d’amitié que M. de Salaberry donnait à sa femme), que j’embrasse de tout mon simple cœur, aussi fort que si j’en avais deux. Mon estime et ma tendresse pour vous et pour elle sont chez moi un sentiment nécessaire et attaché à mon existence, et le moyen de ne pas estimer ce qui est aimable ! Aussi, ne fais-je aucune effort pour cela. Je me livre tranquillement aux douces impressions que vos vertus font sur mon cœur, et je suis au commencement de ce siècle ce que j’étais à la fin de l’autre. Monsieur le chronologiste, nous commençons le dix-neuvième siècle. Je n’ai pu m’empêcher de rire de la rigueur du sort qui poursuivait nos dernières lettres, mais vous ne savez pas que peu s’en est fallu qu’elles n’aient été à dix-huit lieues avant de venir jusqu’à moi. Vous les aviez mises sous l’adresse de mademoiselle de Saint-Ours, qui était alors chez son frère le chevalier ; heureusement que la grosseur du paquet engagea la sœur Lepallier, qui ne pouvait se résoudre à le mettre à la poste, à le décacheter ; elle s’en sut fort gré, car elle en avait ainsi que moi, et nous les aurions attendues longtemps.

J’ai ri de bon cœur de la proposition que vous me faites d’envoyer ma lettre à Son Altesse Royale ; vraiment, le tour serait joli, et je ne le vous défendrais pas, si vous vouliez me promettre de la refaire, de lui donner une petite tournure à la Salaberry ; je passerais alors pour une femme d’esprit auprès du prince, et sans doute, il y aurait de quoi flatter un amour-propre qui, quoique voilé, n’en est pas moins délicat ; mais si vous les