Page:Côté - Papineau, son influence sur la pensée canadienne, 1924.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
113
La littérature de l’époque

matoire de l’époque, où la pensée n’était ni gênée, ni engoncée, et les mouvements du cœur libres de toute contrainte.

Qui donc aujourd’hui a le verbe éblouissant des Aubin, rédacteur du « Fantasque », des Fabre, des Buies, des Lusignan, des Marchand, des Chauveau ? Ils n’ont pas même eu, pour la plupart, l’honneur d’une citation dans nos manuels scolaires faits sur commande, des « ready made », où les hommes sont remplacés par des mannequins habillés comme tout le monde. Cet exclusivisme de nos pédagogues fait preuve d’une mesquinerie, d’une étroitesse de vues, d’un fanatisme, sans égal dans aucun pays. Le catéchiste Mgr Drioux ne ferait pas abstraction de Rabelais, de Montaigne, de Descartes, de Voltaire, de Hugo, de Michelet, en écrivant une histoire de la littérature française. Ainsi émondée de ses branches les plus vigoureuses, l’arbre peut bien paraître anémié, atteint dans sa racine par quelque mal incurable. Catholiques ou protestants, hérétiques, athées ou ultramontains, les penseurs qui ont reconquis le Canada sont nos bienfaiteurs. Qu’ils aient fixé notre langue dans la constitution avec des clous d’or ou de fer, peu importe. Grâce à eux, nous avons conservé notre idiome maternel et avec lui l’espoir de notre régénération.

Avant de clore cette étude sur la littérature canadienne, au temps de Papineau, nous demanderons à Valdombre, notre fougueux et étincelant critique, d’être pitoyable pour ces auteurs qui ont écrit sans souci de la gloire, sans prendre la peine souvent de signer leurs œuvres. Nous le prierons de feuilleter ces vieux bouquins où se dégage autre chose que de la poussière et une odeur de vétusté, triste tâche peut-être pour un scaphandrier amateur de perles fines, mais tâche nécessaire afin de rendre justice aux pionniers de notre littérature. Pour qui recherche l’écriture artiste et l’orfèvrerie verbale, c’est un devoir plutôt qu’un plaisir de fouiller ces paperasses jaunies. Mais le style est autre chose qu’une marqueterie de mots colorés. Il vaut surtout comme reflet de la vérité. Il n’y a pas d’œuvre qui a traversé les siècles sans y prendre de rides. Ceux qui n’ont pas d’idées voudraient bien vous persuader qu’elles enchevêtrent le style ou le rendent