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Page:Côté - Papineau, son influence sur la pensée canadienne, 1924.djvu/249

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Papineau

bragée, où il put méditer, comme beaucoup d’autres grands hommes, sur l’ingratitude des amis, mais une douce sérénité enveloppa la fin de ses jours. De partout, on accourait voir l’astre sur son déclin. C’était dans le modeste village un va et vient d’équipages et de charrettes comme dans un lieu de pèlerinage.

Ces dernières heures, passées dans une retraite qui n’était pas celle de Béthanie, il les employa à scruter les grands problèmes de métaphysique dont son âme chercheuse avait toujours été éprise. Fidèle au deuil éternel qu’il avait voué à ses compagnons martyrs, il s’interdit à jamais les fêtes et les réjouissances publiques. Toujours vêtu de noir et les yeux chargés d’ombre, il errait sous les grands arbres en compagnie de ceux qu’il n’avait pas oubliés, lui, au moins, ceux dont les corps mutilés gisaient dans une fosse commune, sans croix, sans bénédiction, exilés de la terre sainte, tandis qu’il entretenait avec leurs âmes d’interminables colloques.

Supposez un Papineau triomphant, élevé sur le pavois par sa génération, et couronné de lauriers comme Voltaire, roi de son siècle, recevant de sa générosité un équivalent de gratitude et d’honneurs, supprimez de sa carrière ces heures d’angoisse, quand il fut traqué par la soldatesque anglaise, sa tête mise à prix, la trahison de ses amis, le reniement de ses collaborateurs, l’exil de ses dernières années de solitude, il resterait un personnage assez grand par son génie politique et par son dévouement absolu à la cause populaire pour qu’on soit fier de lui, mais il se rapprocherait moins de nous s’il n’avait pas partagé les douleurs de notre humanité. C’est parce qu’il a pleuré nos larmes et souffert nos tortures, dans son abandon de tous, que nous l’aimons. Dans le rêve comme dans l’action, dans le triomphe et la défaite, il s’est tenu à la même hauteur. Qui se serait souvenu de Papineau, s’il n’avait tiré du plus profond de son être cette charité qu’il a répandue à profusion sur tous ?

Les romantiques regrettent que dans cette solitude de Montebello on n’aperçoive aucune silhouette de femme… Pas une Egérie, pas une Eurydice, pas une Omphale, fuyant à travers les buissons. Il semble que l’amour nimberait d’une auréole