Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/235

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tive, buvant comme une éponge, crachant comme une borne-fontaine, et respirant l’haleine et la sueur des pieds de ses semblables, converti en une argile poreuse qui absorbe et excrète sans désirer, sans jouir, sans se mouvoir seulement ! Quelle noble occupation, en vérité, de pousser une bille de billard sur un tapis vert, de battre les cartes ou de remuer les dominos ! Comme la vigueur et la santé doivent bien se trouver de ces fatigants exercices ! Quel sublime essor prend l’intelligence dans ces salles basses où elle est 124 comprimée par les plafonds, étouffée par une atmosphère infecte, noyée dans la bière et les boissons falsifiées ! Comme l’homme peut s’appartenir et penser dans un lieu où tout s’échauffe et crie autour de lui !

Dans la vieille école révolutionnaire, c’était une tradition respectée de se réunir au café, d’y vieillir, d’y conspirer, de s’exalter par la consommation, et de disposer alors des destinées des empires. C’était le cas de s’écrier avec Schiller : « Républicains ! vous êtes plus habiles à maudire les tyrans qu’à les faire sauter en l’air. » J’ai vu ces aristarques verbeux boire douze chopes de bière pendant que sonnait midi, et puis frapper du poing la table, étendre leur bras droit sur des coupes brisées, et hurler d’un ton victorieux les strophes de la Marseillaise et du Chant du Départ. Deux ou trois scènes semblables et les orgues de Barbarie m’ont fait prendre en haine ces deux chants d’une autre époque, dignes trophées de la démagogie nationale.