Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/391

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peu d’histoire ; nous qui savons plus ou moins lire, écrire et penser ; nous qui avons réfléchi quelquefois sur la pénalité, la justice et le crime, nous sommes attristés toutes les fois qu’une tête tombe. Nous en parlons, nous plaignons la victime, et nous nous demandons avec effroi d’où vient cette formidable puissance qui promène la mort sur nos têtes ? Cependant ce n’est pas nous qui avons envoyé cet homme à l’échafaud : nous gagnons moins piteusement notre vie. Combien devez-vous donc souffrir plus ces jours-là, vous hommes instruits, hommes du monde, qui pouvez entendre ce qu’on pense de vous qui avez secoué cette tête jusqu’à ce qu’elle roulât dans le panier.

Et qui nous a fait cette conscience ? Qui nous permet de juger toutes choses ? L’instruction qui se répand. — Et comment se répand-elle ? par les Révolutions. — Et qui fait les Révolutions ? la Philosophie. — Et qui sont les philosophes ? des hommes libres. — Et qui sont les hommes libres ? des revenants que les esclaves, 226 vos pères, ont torturés, et qui se souviennent, et qui se vengent sur vous. — Vous souffrez parce que nous pouvons analyser vos actes, disséquer vos impressions, et vous montrer tels que vous êtes au public qui n’a de parti pris pour personne. Vous maudissez l’esprit d’examen et de révolte qui nous travaille. Si vous voulez le faire disparaître, ne semez plus de victimes ; elles produisent des philosophes. Et la vendetta humaine est plus tenace que la vendetta corse.