Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/466

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Ils nous ont donné les meilleures places. Suivant l’antique usage ils ont partagé avec nous la coupe du matin ; ils nous ont fait connaître leurs femmes et leurs filles ; ils nous ont promenés dans leur verger et dans leur vigne. Ils nous disaient qu’ils nous aimaient, et que notre personne leur était sacrée, et qu’on les renverrait de chez eux avant de nous expulser. Personne ici ne me démentira. Je dirai tout ce que j’ai à dire. Je suis votre hôte, étudiants de l’Helvétia, et vous respecterez ma liberté mieux que vos gouvernants.

« Eh bien ! aujourd’hui, 24 Février 1850, pendant que nous fêtons l’anniversaire de deux révolutions, ces mêmes hommes qui leur doivent leur fortune, vendent des républicains, des proscrits ! Ils sont les amis de l’empire autrichien et de l’empire français ; les diplomaties étrangères leur arrachent de honteuses concessions 275 en flattant leur simplicité de parvenus. La peur est mauvaise conseillère. Ils nous sacrifient à la peur.

« Oui, dans l’hospitalier pays de Walter Fürst, à deux pas de cette ville de Vevey qui vénéra Ludlow, il se trouve des hommes qui ont ouvert leurs bras à des exilés, et qui maintenant ne les reconnaissent plus, les insultent dans leurs parlements et les font traquer par leurs gendarmes. Et pas un d’eux ne renoncera à son salaire annuel, le salaire maudit de Judas !

« Et de quel droit nous privent-ils donc de ce ciel, de ce lac, de ces Alpes sublimes ? De quel droit nous refusent-ils l’air vivifiant de la Suisse ?