Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/480

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dans son premier sommeil. Belles nuits de juin et de juillet, canton de Vaud, protégé du ciel, fraîcheur parfumée de l’aubépine, vignes en fleur, forêts du Signal, brise enivrante ; murmure de la nuit, silence d’amour ! J’ai perdu tout cela.

Suisse bien-aimée ! pourquoi m’as-tu banni ?

La nuit est tombée partout. Je n’entends plus que le bruit du torrent qui se précipite des hauteurs de Roværea, je ne vois plus que les deux lumières des postes suisse et sarde qui s’observent d’un rivage à l’autre, ou qui s’endorment dans la fumée du tabac, pendant que leurs lampes veillent. Je suis seul sous le firmament, 284 et si les chiens des propriétaires n’aboyaient pas, je me croirais le maître du monde. Combien de conquérants se sont donné plus de peine que moi pour arriver à la même illusion !

Suisse bien-aimée ! pourquoi m’as-tu banni ?

Le calme de la nature me gagne, je m’étends dans le fond de ma péniche qui se balance à peine. Ô les plus belles heures de ma vie ! rêves de jeunesse et de grandeur, rêves d’amour et de liberté ! Alors je songeais, alors mon âme avide s’ouvrait à toute pensée. Aujourd’hui, misérable, je raisonne et j’écris.

Suisse bien-aimée ! pourquoi m’as-tu banni ?

Insensiblement, l’eau m’attire, m’attire… c’est une invincible fascination qu’elle exerce sur moi ; il faut que je la voie de près, que je m’y roule, que je la presse dans mes bras. Les harmonies qui naissent sous les flots me séduisent et me do-