Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/98

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Quand viendra le soir, veille sur moi, nuit mystérieuse ! Amie de ceux qui souffrent, j’ouvrirai ma fenêtre pour te recevoir. Conserve la voix du grillon de mon foyer, afin que ses chants me récréent.

Nuit ! Je t’appelle tant que le jour dure. Quand tu parais, j’ai conduit un sillon de plus dans le champ vital couvert de ronces ; c’est autant de fait. Nuit ! tu respectes le travail, et j’aime ton silence ; j’aime entendre le feu qui crie dans l’âtre, les vents qui gémissent au dehors, les voitures qui roulent dans les longues rues. Les rêves du soir me sourient ; ceux du matin m’épouvantent.

Quand minuit sonne, l’argus social s’endort quelques heures : je m’appartiens. Les derniers coups de marteau retentissent sur les portes ; les couples attardés se pressent vers leurs lits. C’est l’heure où l’on sort des théâtres, des bals et des cafés somptueux ; l’heure où la luxure s’empourpre dans les tavernes de Hay-Market, l’heure du meurtre et de la vengeance.

Neige ! pleure sur mon toit tes larmes d’argent ; il me semblera que la nature gémit avec moi sur les crimes des hommes.

Jusqu’à ce que ma main se dessèche, j’allumerai ma lampe chaque soir. Je demanderai des inspirations à la nuit. À la nuit qui surveille de son œil sombre les coups les plus sûrement portés !

Ainsi j’écrirai, quand tout bruit aura cessé, car les disputes des civilisés me déchirent le cœur.