Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/116

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Ce n’est donc pas aux malheureux que vont mes allusions. Non certes, je respecte trop leur infortune pour ne pas me découvrir devant elle chaque fois que je la rencontre. Mais je m’adresse à ceux qui, pouvant s’habiller comme ils veulent, sont toujours mis comme ils ne voudraient pas. Je parle de ces lâches qui aiment mieux se meurtrir tout le corps que de froisser un cheveu de l’Opinion, que de rogner un ongle au Préjugé griffu. Je parle de ces oisifs qui passent trois heures sur vingt-quatre à lutter contre l’entêtement d’un poil de barbe, d’un faux-col ou d’un nœud de cravate. Je parle de ces jolis hommes qui pestent, 58 jurent, ragent et transpirent devant le miroir de leur fatuité. Je parle de ces sachets ambulants qui nous asphyxient des senteurs du musc et du patchouly. Je parle de ces mannequins-annonces qui promènent leurs nouveaux habits sur les boulevards, à la plus grande satisfaction de leurs fournisseurs. Je parle de ces suppliciés du bon ton, serrés, guillotinés, étouffés, étranglés, ridiculisés, déprimés, comprimés, écartelés, ficelés, rembourrés, agraffés, boutonnés, tirés à quatre épingles, martyrisés, tortillés, torturés, qui seraient malheureux s’ils pouvaient respirer et marcher librement. Je parle de ces mignons esclaves qui se luxeraient pieds et mains, se perceraient oreilles et narines, s’il prenait fantaisie de le faire à la cour. Je parle de ces imbéciles sans défense qui livrent leurs membres aux habilleurs, et leurs têtes aux barbiers, à discrétion, miséricorde et