Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/274

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Le vrai roi de ce pays, c’est l’homme qui sait le mieux enfoncer l’épée longue entre les épaules de la bête ; le vrai trône, c’est le cadavre du taureau. Aux matadores fameux, à Montes, Cuchares et Chiclanero, les sympathies du public, les faveurs de l’opinion, les sentiments les plus tendres, de royales obsèques, et des noms que la postérité répétera lorsqu’elle aura perdu la mémoire de tous les autres.

Je suis convaincu que le plus sûr moyen de soulever une révolution en Espagne serait de prohiber les courses de taureaux. Ce peuple supportera tout : la misère, la faim, le choléra, sept années de guerres civiles atroces, des commotions et des épreuves sans fin. Mais malheur au gouvernement qui porterait la main sur les plaisirs et le luxe qui sont l’âme de sa vie !

C’est qu’il faut bien l’avouer, quelqu’adversaire qu’on soit de ces divertissements sanguinaires, aucun spectacle au monde ne peut donner une idée de la magnificence d’une course de taureaux dans la très héroïque capitale des Espagnes ; aucun ne peut faire naître dans l’âme humaine d’émotions plus fortes, plus terribles ; 164 le grand génie de Shakespeare ne rêva pas de drame plus fécond en péripéties.