Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/38

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regardais la route qui s’allongeait ironiquement devant moi, déroulant ses anneaux par la campagne dépouillée, comme un serpent qui s’enlace autour d’un cadavre. Je regardais le ciel ; il était noir, il présageait de la neige et du froid pour bien longtemps encore. Je regardais les arbres ; il y tremblait quelques feuilles jaunes et desséchées que les vents emportaient une à une, comme le mal détache les derniers cheveux d’une tête souffrante. Je regardais les rues de la ville ; et je voyais hôtels, théâtres, musées, bibliothèques se fermer devant les gens qui, comme moi, n’avaient pas habit noir et chaîne d’or. Je voyais les femmes passer lestement près du pauvre, dédaigneuses, épouvantées, craignant de salir leurs écharpes de bal à ses guenilles poudreuses !

Mon âme était prise d’une tristesse mortelle ; ma médiocrité, décente à peine, me pesait plus que ne me pèsera jamais le couvercle du cercueil ; j’étais obsédé de rêves de mort et de suicide. Et je me disais : qui me retirera de cette impasse de réprobation, d’obscurité, de misère ?

Qui donc me portera bonheur ?


Bénie soit la colombe qui déposa sur l’arche le rameau d’olivier ! Béni soit l’arc-en-ciel qui sépare, de son bras irisé, les nuées querelleuses ! Bénie soit la chaloupe qui sauve le naufragé de la plus affreuse des morts ! Bénis la vigne et le fleuve qui dérobent le cerf à la poursuite des chiens ! Bénie la main qui présente la coupe fraîche au guerrier