Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/396

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rue, chantant et vantant quelque vieille ballade, sans esprit, sans amour : que tu devais souffrir !


» Oh ! vivre ainsi ! Vivre inconnu parmi le peuple qu’on illustre ! Et ne respirer cependant que le souffle de son génie, que le délire de sa fièvre ; ne sourire qu’à ses joies, n’endurer que ses peines, n’aimer, ne voir que lui, ce peuple ingrat ! Et se consumer, d’un crépuscule à l’autre, dans le travail dévorant de la pensée ! C’est l’enfer ici-bas. — Que tu devais souffrir !

» Avoir connu sa force, savoir qu’on fait une œuvre, savoir qu’on sera grand ! Et mourir immortel, ignoré, misérable, quand on entend la Gloire battre des ailes sur son tombeau ! C’est l’enfer ici-bas. — Que tu devais souffrir !

» Manquer du pain du corps et du pain de l’esprit ! Compter les ans, les jours, les minutes si longues quand on attend la Gloire au rendez-vous donné ! Se débattre, comme un aigle, dans l’étroite prison de la réalité ; sans feu, sans vin, sans livres, dans la mansarde nue ! C’est l’enfer ici-bas. — Que tu devais souffrir !


» Ô Miguel ! Quand elle te balançait entre ciel et chaos, la Gloire cruelle ; quand elle t’envoyait les Souffrances et les Désillusions, ses démons précurseurs. Quand tu te demandais : suis-je fou ? suis-je grand ?… Et que tu ne savais comment répondre. — Que tu devais souffrir !

» Quand le soleil souriait à la terre ; quand les fleurs de l’oranger faisaient monter à lui l’encens