Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/259

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masque, à la place des yeux. Ne fatiguez donc pas la vue de votre esprit ; elle est plus précieuse, elle se perd plus vite que celle de votre corps.

» Parmi les hommes, les uns supportent leur détention avec la patience des animaux réduits à l’esclavage ; les autres brisent leurs têtes rebelles contre les barreaux meurtriers. On appelle les premiers des sages, et les seconds des fous. Et moi je dis : les premiers sont des ânes, et les seconds des aigles, les lions bondissants, à la fauve crinière ! Ils souffrent également d’ailleurs.

» Les vraies heureux sur terre sont ceux qui ne tentent pas de faire brèche avec leurs ongles à leur prison charnelle, ceux qui savent faire suivre à leur pensée les deux sillons de lumière dont elle peut supporter la splendeur immortelle. Entretenir la santé de son corps et les aspirations de son âme, tel est le problème de l’Humanité.

» Au milieu de la nature géante les hommes sont suspendus comme au dessus d’un gouffre qui veut boire tout leur sang. Qu’ils prennent donc conscience de leur force, mais aussi de leur 432 faiblesse ! Qu’ils précipitent leur essor, mais qu’ils limitent leur infini ! Qu’ils tordent les épines les plus rapprochées de leurs mains, qu’ils se débarrassent des cailloux qui font saigner leurs pieds ! Mais qu’ils n’aillent pas compter toutes les ronces et toutes les pierres de l’abîme sans ciel et sans fond ! Car alors l’Infini des espérances et des lumières deviendrait pour eux l’Infini des ténèbres et du désespoir !